Page 31 - Cahier école de la SRF 4
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dans leur champ la pensée du réalisateur. Cette chose-là est décisive pour moi. Si le travail
colossal effectué pendant le montage ne se transmet pas aux collaborateurs suivants, c’est
une aberration à tous les niveaux.
Premièrement, c’est une aberration financière. Si le monteur son, par exemple, commence
son travail tout seul dans son coin, on prend le risque de mettre quinze jours à la poubelle.
On ne peut pas parler de perte de temps quand un chef monteur et un réalisateur
tâtonnent ensemble en début de montage parce que ça permet d’apprivoiser le film et
que c’est une étape indispensable. Alors que c’est réellement du gâchis quand le monteur
son ou le mixeur se retrouve tout seul à devoir prendre une direction qui se révèlera
absurde par rapport à l’ensemble du film.
Deuxièmement, c’est une aberration qualitative. Dans la fabrication du film, les choses
sérieuses commencent lorsque plusieurs personnes cherchent ensemble à atteindre un
objectif sans savoir précisément comment l’atteindre. Comment, par exemple, restituer
au mixage une sensation qu’on a eue avec la copie de travail alors que la bande son est
infiniment plus ample ? Tout le monde cherche, ça tâtonne. Parfois, ça se trouve vite, de
façon presque miraculeuse, d’autres fois, ça demande du temps. C’est à cet endroit-là que
le temps doit être mis. Si la transmission s’est bien effectuée, le nouveau collaborateur
arrive avec ses propres propositions et compétences et des choses peuvent s’inventer qui
dépassent parfois nos espérances. Si ça ne s’est pas transmis, tout le monde s’en tient au
minimum et ça affaiblit terriblement ce qui aurait pu être fait dans un temps similaire.
Pascal Chauvin
Je voudrais vous parler de mon métier depuis trente-cinq ans : le bruitage. Je l’ai vu évoluer
et se dégrader progressivement. La chaîne de la post-production s’est cassée. Dans les
débuts, les bruiteurs avaient des rendez-vous avec les producteurs. On avait une
projection dans une salle de cinéma, rarement en salle de montage, et toute
l’équipe était présente. On préparait le film, on se parlait des difficultés et du temps
de travail. On discutait avec nos assistants. Tout cela n’existe plus. On était choisi
comme bruiteur par les réalisateurs parce qu’on apportait une sensibilité particulière.
Chaque bruiteur a sa propre sensibilité. Aujourd’hui, ça n’est plus le cas : un bruiteur bruite.
Je suis encore motivé pour bruiter des films, mais c’est devenu très dur. Il faut se battre
pour avoir des contacts avec le montage, le montage son et le réalisateur lui-même ! On
bruite en aveugle avec quelques petites infos glanées à droite, à gauche. On n’a plus
d’esprit d’équipe. L’organisation du travail s’est standardisée. Le film exige un certain
temps de bruitage qui lui est propre et pourtant, ce temps est prédéterminé. Ce
sera par exemple six jours, qu’il s’agisse de bruiter un film de cape et d’épée ou un film plus
calme. On a très peu de contact avec le réalisateur. Avant, le réalisateur nous dirigeait.
Aujourd’hui, on se dirige tout seul…
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