Page 14 - Cahier école de la SRF 4
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Pierre Salvadori
Je fais l’inverse. Je ne pense pas du tout à moi. Je ne veux pas dire par là qu’il y en a un qui
est égoïste et l’autre pas, mais je suis obsédé par la réaction du spectateur. Je ne pense
qu’à ça. Pour moi, la définition de la mise en scène, c’est le langage, c’est comment j’essaye
de transmettre quelque chose au spectateur, de l’emmener quelque part, de jouer avec lui.
Je veux presque qu’il ait le sentiment que le film lui appartient. Le malaise ne m’intéresse pas.
Catherine Corsini
Dans le jeu de Guillaume Depardieu dans Les Apprentis, il y a un côté un peu idiot
magnifique avec une espèce de candeur. Il ne joue absolument pas comme on pourrait
l’imaginer dans une comédie, il y a une sincérité incroyable et, en même temps, dans cette
innocence, il y a une drôlerie qui est liée au dialogue. Ton cinéma, Pierre, est extrêmement
précis sur les dialogues, sur la poésie de l’écriture et sur l’incarnation qu’en font les
acteurs. Tu es un peu à l’inverse de toute cette génération des petits-enfants de Pialat. Tu
crois à tout ce qui est artifice.
Pierre Salvadori
Croire au dialogue, c’est comme croire au burlesque, c’est pareil, c’est se défier du
naturalisme. Je crois en la fiction, le langage,la situation, l’artifice, la poésie. Pendant le
tournage des Apprentis, Guillaume Depardieu a été hospitalisé et on a dû interrompre le
tournage. Quand il est revenu, il avait honte, il était embarrassé et il m’a demandé « Pierre
laisse-moi revenir avec le monologue, que je montre à l’équipe que je suis aussi un acteur et que je
sais faire des choses ». Je sentais que les huit semaines qui nous restaient dépendraient
beaucoup de la réussite de cette scène. Et il l’a jouée merveilleusement. Discrètement et
avec modestie. C’était la première fois que j’entendais un acteur dire les mots comme je
les avais rêvés, avec un rythme parfait, tout tombait parfaitement.
Catherine Corsini
Mais est-ce que ce n’est pas ça, ton obsession quand tu es en montage, de retrouver
exactement, précisément, la musique que tu as écrite ?
Pierre Salvadori
Si, mais je laisse aussi toujours beaucoup de place. Dans la scène du homard entre Daniel
Auteuil et José Garcia, dans Après vous, j’avais écrit quelque chose de beaucoup plus court,
où Auteuil essayait juste de lui envoyer discrètement deux-trois indications. Mais j’ai
découvert chez Auteuil un tel goût pour la pantomime, une telle précision et un tel génie
comique, que je me suis dit que je pouvais aller plus loin. C’était la première fois que je
tournais avec des stars, et je ne me voyais pas en train de dire à Auteuil, sortant d’Haneke:
«Peut-être que, quand tu es désolé, tu pourrais faire comme ça et ensuite faire comme ça». Mais
en fait, il a un tel amour du jeu, quelle que soit sa forme, qu’on a poussé de plus en plus loin.
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