Page 19 - Cahier école de la SRF 4
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Éric Judor
                  Et il y a un truc physique. Une salle silencieuse, c’est l’aveu d’un ratage, alors que pour une
                  comédie romantique ou un film d’auteur, il n’y a l’obligation de rien dans la salle. Tout le
                  monde peut se dire en sortant « j’ai adoré » ou « j’ai détesté ». Alors qu’une comédie, tu sors
                  de la salle, tu sais si tout le monde a détesté.


                  Pierre Salvadori
                  Et tout le monde a un avis sur ce qui est drôle ou pas. Alors que pour certains genres, on
                  n’ose pas forcément dire ce qu’on pense.

                  J’écris mes scénarios, je fais des comédies, mais au fond je suis un formaliste, ce qui
                  m’intéresse c’est comment je vais raconter ça. Trouver des idées, une forme idéale pour
                  chaque récit. Je pense à L’Aventure de Madame Muir, de Mankiewicz. C’est l’histoire d’une
                  femme qui, après la mort de son mari, va acheter une maison un peu inquiétante et tomber
                  amoureuse d’un fantôme. Ça ressemble à une comédie romantique, alors que pour moi
                  c’est l’éloge de la folie. C’est comment une femme va choisir la folie pour survivre à un
                  deuil. C’est exactement comme dans Seul au monde, de Robert Zemeckis, avec Tom Hanks
                  sur une île déserte. C’est l’histoire d’un mec qui, à un moment, va se dire que pour tenir le
                  coup il vaut mieux choisir la folie et va parler à un ballon de basket. Pour moi c’est le
                  scénario secret, c’est comment la folie nous protège de la douleur.

                  C’est comme ça que j’aime voir les films et c’est comme ça que j’aime les écrire et les
                  tourner. Je pars tout le temps de ça et après je développe, j’enveloppe. Je rajoute la
                  comédie, le burlesque et les situations. D’ailleurs si on observe, les sujets de comédie sont
                  souvent terribles.


                  Éric Judor
                  La comédie est quelque chose qui est en mouvement permanent. Tant dans le jeu
                  que dans l’écriture ou dans le montage, les rythmes s’accélèrent. C’est aussi dû au fait que
                  nous sommes abreuvés de comédies et que le public affine son goût. Il acquiert une
                  certaine culture de la comédie et donc ses codes. Les choses vont plus vite, les gens
                  comprennent les choses beaucoup plus rapidement qu’avant.

                  Sur l’intemporalité, le burlesque est imparable parce que c’est physique, un Thaïlandais va
                  pouvoir se marrer d’un mec qui se prend une porte comme un Allemand. En revanche, si
                  on veut commencer à chercher des choses de notre culture personnelle qui nous font rire,
                  c’est-à-dire notre regard et notre recul sur notre culture, cela fera rire les Français mais
                  pas les Allemands ni les Italiens, et les Américains riront sur autre chose encore. Tout est
                  une  question  de  références.  Rares  sont  les  comédies  rassembleuses  comme
                  Intouchables, extrêmement rares.





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