Page 10 - Cahier école de la SRF 4
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Éric Judor
                  Je pense qu’il faut en permanence chercher, se réinventer, continuer de créer, bousculer
                  ce qu’on connaît, arrêter de vivre sur ses acquis comiques et proposer de nouvelles choses.
                  Il ne faut pas le faire d’une manière mécanique, ce n’est pas juste parce qu’il faut se recréer
                  qu’on se recrée. Il faut l’avoir en soi et ne pas hésiter à le sortir. Il y a pas mal de rois de la
                  comédie en France qui n’ont jamais osé ressortir leurs autres passions comiques ou qui
                  sont restés sur un sujet et sur un style qui les a rendus célèbres et les a maintenus là-haut,
                  sans essayer, avec l’âge et l’expérience, de faire jaillir les autres choses qui les trituraient
                  au fond.



                  Axelle Ropert
                  Est-ce que la rencontre avec un autre cinéaste, Quentin Dupieux, qui a vraiment été
                  décisive à la fois dans la comédie française et dans votre filmographie, vous a propulsé
                  vers autre chose, pas simplement un autre type d’humour mais aussi l’envie de devenir
                  metteur en scène de vos propres gags ?



                  Éric Judor
                  Non, car ce n’est pas Quentin qui est venu nous chercher, c’est nous qui sommes allés le
                  chercher. On devait faire un film avec Michel Gondry et quinze jours plus tard il reçoit un
                  coup de fil de Charlie Kaufman et de Jim Carrey pour faire Eternal sunshine of the spotless
                  mind donc forcément, entre Jim Carrey et nous, il choisit Jim Carrey. Je ne comprends
                  toujours pas pourquoi aujourd’hui mais bon, bref... c’est son choix. Et il nous dit, avant de
                  partir « Je vous vois bien avec un mec, c’est Quentin Dupieux ». Ce qui m’a donné envie de
                  réaliser, c’est justement de faire des choses qui ne me ressemblaient pas. Quentin Dupieux
                  nous a montré un court métrage qui s’appelle Le Non film. On était par terre de rire dans
                  la salle de montage et on lui a dit : « Écris ce que tu veux, nous c’est là qu’on veut aller ». Et il a
                  écrit le scénario de Steak, qu’on a produit nous-mêmes.


                  Pierre Salvadori
                  Moi, au début, j’ai cru que je voulais être acteur, je faisais du stand up. Et puis j’ai eu un
                  coup de foudre qui n’avait rien à voir finalement avec le désir de faire rire, rien à voir avec
                  la comédie et tout à voir avec la mise en scène. Au fond si j’aime autant la comédie
                  c’est qu’elle est propice à la forme, à la mise en scène. Au départ j’avais cette
                  pulsion, j’avais envie de faire rire, j’avais ce truc en moi, cette grande croyance et
                  cette  admiration  pour  la  comédie  et  certains  comiques.  Et  puis  ensuite,  j’ai
                  rencontré la mise en scène. Je ne suis pas tombé amoureux du gag, même si j’admire
                  énormément les Marx Brothers par exemple, leur tenue, leur rigueur. Moi, c’est la mise en
                  scène, c’est Ernst Lubitsch qui a tout déclenché et qui m’a donné envie de faire rire. C’est
                  sa façon de susciter des émotions en n’utilisant que les outils propres au cinéma. J’ai trouvé
                  sa façon de faire extraordinairement généreuse, pure et belle. Voilà, d’abord on admire et
                  ensuite on s’invente.


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