Page 9 - Cahier école de la SRF 4
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Catherine Corsini
                  Vous prenez la comédie au sérieux et en même temps, vos comédies, et chez l’un, et chez
                  l’autre, ne rassurent pas le spectateur, elles vont loin. Pierre, tu as des comédies qui se
                  terminent par des suicides, par des drames absolus et en même temps, on rigole quand
                  même.



                  Pierre Salvadori
                  Il me semble que la comédie n’a pas à finir bien ou mal. La plupart du temps, les comédies
                  finissent « bien » parce que c’est une convention. D’ailleurs, je me dis souvent que les cinq
                  dernières minutes, ça ne compte pas. C’est la forme qui compte. La forme c’est même son
                  seul sujet. J’aborde la comédie parce que j’ai une passion pour ça, c’est quelque chose
                  qui demande énormément de concentration, qu’il ne faut pas prendre à la légère.
                  Je l’approche avec énormément de sérieux et avec une réflexion perpétuelle. Je ne
                  peux pas respecter un cinéaste, quel qu’il soit, qui n’aborde pas le genre qu’il travaille avec
                  engagement  et  sérieux.  Ce  qui  est  très  beau,  c’est  d’avoir  une  croyance,  c’est  d’être
                  obsessionnel, c’est d’être énervé. Il y a des choses que je trouve obscènes, que je trouve
                  dégoûtantes, les personnages humiliés par leur réalisateur ou la sentimentalité. Ce n’est
                  pas de l’émotion, c’est du jus de sentiments.



                  Éric Judor
                  Je  déteste  aussi  quand  on  essaie  de  me  faire  tirer  une  larme  dans  les  comédies
                  romantiques. On fait semblant d’être léger puis soudain on nous dit « Non mais quand-
                  même, je sais être profond, je sais être beau » et ça, ça m’énerve. Ricky Gervais a fait un truc
                  absolument dingue dans sa dernière saison de The Office, où il mêle pathétique et drôlerie
                  absolue. Il réussit le mélange parfait de séquences auxquelles on peut éclater de rire
                  comme verser une larme, sans mettre des violons ou quoi que ce soit. On peut vraiment
                  dire qu’il a fait partie de ce tournant de la comédie extrêmement réaliste. Il a créé un genre
                  qui a été suivi par vingt séries américaines, et puis quelques séries françaises dont la
                  mienne, Platane. Il est capable à lui tout seul de créer un nouveau courant de comédie, de
                  réinventer la comédie, c’est un génie. C’est une inspiration immense. Je n’ai pas essayé du
                  tout de faire la même chose, mon canevas d’écriture pour Platane ressemble plus à un truc
                  à la Curb your enthusiasm de Larry David, mais ce genre de comédie crée le malaise et ne va
                  pas forcément donner un rire à chaque fin de séquence. C’était totalement nouveau pour
                  moi et donc absolument fascinant.


                  Axelle Ropert
                  Comment un comique évolue au fil de sa carrière ? Quand je regarde la filmographie d’Éric,
                  je trouve qu’il y a vraiment un grand changement dans l’humour. Avec un humour au
                  début très enfantin, très accueillant, très chaud, alors que les derniers films et séries
                  travaillent plus un humour de malaise. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Et pourquoi
                  avoir choisi cette évolution ?


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