Page 60 - Cahier école de la SRF 4
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musique de Lully en plus, la première fois, j’ai vraiment fondu en larmes. C’est toujours le
                  cas maintenant, régulièrement. C’est vraiment une émotion basique mais très forte de ces
                  deux musicalités. D’ailleurs, Bresson le dit lui-même « La voix humaine est l’une des plus
                  belles musiques » et il l’utilise très bien. Il y a un surgissement à ce moment-là qui est
                  époustouflant de beauté et d’émotion, tout en sobriété. Je ne sais pas comment il a trouvé
                  cet espèce de croisement mais c’est la grâce.

                  Pour la bande originale de Saint Laurent, qui est à moitié classique, à moitié pop-rock, je
                  me suis mis dans la tête de Saint Laurent. Il écoutait de l’opéra toute la journée et la nuit
                  il allait en boîte de nuit. J’ai senti en faisant le film qu’il manquait un troisième truc. Et ça,
                  ça a été la musique originale, qui était un truc un peu plus froid, un peu plus glacé, qui est
                  un peu le personnage de Louis Garrel.


                  Baptiste Etchegaray
                  On va regarder un extrait du générique de fin de ton dernier film, Un Couteau dans le
                  cœur, qui m’a fait penser au générique d’ouverture de Nowhere de Gregg Araki en 1997.
                  Quand je t’en ai parlé, tu m’as dit que le rapprochement était exact mais que tu n’y avais
                  pensé qu’après avoir fait le film.



                  Yann Gonzalez
                  Le lien est inconscient et pourtant assez évident quand on les voit l’un après l’autre. Il y a
                  le blanc des décors, le bleu des crédits. Nowhere, c’est un film que j’ai vu vingt fois, donc
                  cela ne m’étonne pas que ça rejaillisse quelque part. J’avais 20 ans, il parlait de gens de 20
                  ans, d’amour pansexuel, de drogue, de fête, de joie, dans un univers très onirique. C’est un
                  film qui me parlait énormément. Les bandes originales de Gregg Araki sont peut-être les
                  plus excitantes du jeune cinéma américain. J’ai découvert Slowdive avec ce morceau qui
                  s’appelle Avalyn II. C’est devenu l’un de mes groupes préférés.


                  Il y a aussi une intensité émotionnelle qu’on gravit échelon par échelon. C’est ça qui me
                  plait, c’est cet espèce de crescendo, ce son très saturé, très mélodique, très mélancolique,
                  avec en même temps une espèce de violence qui bout à l’intérieur. Dans cet extrait, j’ai
                  utilisé un morceau préexistant sur lequel j’ai écrit la séquence, un morceau de shoegaze
                  d’un garçon qui s’appelle Jefre Cantu-Ledesma. Je l’ai diffusé sur le plateau, pour mettre
                  les acteurs dans l’ambiance. Quand je suis sûr que c’est la musique que je vais
                  utiliser, je le fais. Pour moi, c’est la meilleure direction d’acteurs possible, car elle
                  ne passe pas par les mots mais directement par les émotions. C’est magnifique quand
                  on a le loisir de mettre de la musique sur le plateau. Pour moi c’était une séquence de fin.
                  Mais comme il y a un peu une double, voire une triple fin, dans le film, on s’est dit que ce
                  serait plus digeste en mettant les crédits. C’était une façon de dire au revoir au public d’une
                  manière un peu érotique et onirique, de rendre hommage aux acteurs aussi. Un peu
                  comme chez Vecchiali finalement, en voyant une dernière fois les visages des acteurs avec
                  leurs noms gravés à l’écran.


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