Page 61 - Cahier école de la SRF 4
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Baptiste Etchegaray
Dans Les Rencontres d’après minuit, il y quelque chose d’assez beau, c’est le jukebox
sensoriel, qui est presque un personnage du film. Il joue la musique de l’humeur des
personnages. Ils posent leurs mains dessus et leurs émotions sont retranscrites en
musique. Il y a notamment un morceau qu’on entend dans le film, qui s’appelle Mots de
Ruth. C’est un groupe français des années 80 que peu de gens connaissent aujourd’hui.
Parfois je me demande si vous ne faites pas des films pour aller déterrer des morceaux
qu’on a un peu oubliés.
Yann Gonzalez
C’est aussi pour partager avec le public. Je trouve plus généreux et plus intéressant d’aller
chercher des morceaux qu’on ne connaît pas et de les faire découvrir à des gens qu’on ne
connaît pas non plus. C’est chouette, ce côté explorateur de la musique. Et en même
temps, ce sont des morceaux qui provoquent des émotions sincères chez moi, que j’ai envie
de partager. Là, c’est un morceau sur lequel j’étais tombé sur une compilation des années
80. L’idée du jukebox sensoriel, c’est quelque chose dont tout le monde rêve. Quand on
est dans la séduction et qu’on emmène quelqu’un chez soi, on aimerait avoir cet appareil
magique qui nous permet d’emballer. Je crois à une espèce de télépathie avec la machine.
Baptiste Etchegaray
Bertrand, dans ton dernier film Nocturama, quand les personnages sont retranchés dans
le grand centre commercial, on les voit passer de la musique. Ce n’est pas un vrai jukebox,
mais c’est une façon peut-être de faire jouer un jukebox. Est-ce que filmer des gens qui
passent de la musique au cinéma c’est quelque chose qui te plaît ?
Bertrand Bonello
Je n’ai jamais utilisé de chansons qui ne soient pas écoutées par les personnages. S’il y a
une chanson c’est qu’elle est écoutée par le personnage. C’est quelque chose que
j’aime bien car le spectateur et le personnage sont au même niveau émotionnel. Et
puis, voir des gens écouter, se demander pourquoi ils écoutent ça… Je mets longtemps à
trouver le morceau car il doit raconter quelque chose dramaturgiquement ou
émotionnellement sur le personnage.
Qu’est-ce qu’une bonne musique de film ? C’est parfois une musique qui n’est pas
formidable en soi mais qui est bonne pour le film. Une chanson, c’est quelque chose
de complet. Elle n’a pas besoin de l’image finalement, ou alors c’est qu’elle est
complètement ratée. Donc si elle arrive sur le film, j’ai l’impression qu’elle va le bouffer, le
manger, sauf si on s’en sert scénaristiquement, si c’est un personnage qui la met. C’est
compliqué d’utiliser même un morceau de Mahler. Il y a des très grands qui l’ont fait,
Visconti l’a fait. Mahler n’a pas besoin du film. Peut-être que le film a besoin de lui, mais
pas l’inverse.
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