Page 42 - Cahier école de la SRF 4
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Yann Gonzalez
On ne peut pas évoquer votre œuvre sans penser à la peur et notamment la peur de
l’invisible, du lointain, que l’on retrouve dans The Thing comme dans nombre de vos films.
Et en même temps, vous n’avez pas peur de vous confronter au monstre et à certaines
visions hallucinées à la Lovecraft. Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir ? Montrer
ou ne pas montrer ?
John Carpenter
Du moment que mes films provoquent des cris, tout me va ! En l’occurrence quand
j’ai réalisé The Thing, j’ai senti qu’il y avait une règle tacite à Hollywood issue de l’époque
des Ensorcelés de Minnelli, selon laquelle le monstre doit rester dans l’ombre. L’horreur ne
doit pas être vue directement. Moi j’avais envie qu’on voie cette bête, qu’elle apparaisse
dans la lumière pour qu’on constate qu’elle existe bel et bien. À l’époque, on ne faisait pas
ça avec des images de synthèse. Je crois que ça a participé au rejet de certains spectateurs
qui ont cru que je montrais des fœtus ou je ne sais quoi. En tout cas, il y avait du sang et
ça a eu l’effet escompté.
Yann Gonzalez
Est-ce que créer un monstre est un plaisir qui remonte à l’enfance ?
John Carpenter
Oui bien sûr. Quand j’étais petit, j’adorais fabriquer des monstres et voir des films de
monstres. Malheureusement, aujourd’hui, on regarde plutôt des films de super-héros.
Katell Quillévéré
J’imagine qu’alors, tout l’enjeu de la réalisation est de réussir à filmer le monstre. Si la
bête ne marche pas, le film ne marche pas. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment
vous avez imaginé la bête dans The Thing, quelles étaient concrètement vos inspirations
et avec qui vous l’avez travaillée ?
John Carpenter
Je travaillais à l’époque avec un jeune spécialiste des effets spéciaux, Rob Bottin. Ce dernier
travaillait en équipe avec une armée de dessinateurs qui passaient leur temps à griffonner
des idées. Il m’a présenté une idée que j’ai aussitôt adoptée, à savoir que cette chose dans
le film pouvait prendre n’importe quelle forme. Sa propriété, c’était justement sa forme
caméléon, son élasticité. Il ne fallait pas lui attribuer une forme en particulier. On s’est donc
retrouvés avec un amas de plastique face à la caméra. La question ensuite, c’était de savoir
comment insuffler du mouvement à ce tas de plastique, un mouvement auquel le
spectateur puisse adhérer.
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