Page 39 - Cahier école de la SRF 4
P. 39
« Cher John Carpenter,
Vous êtes un cinéaste libre par excellence. Une sorte de cowboy du 7 ème Art. Un
guerrier indépendant qui inspire tant d’artistes à travers le monde. Tout au long
de votre carrière, vous êtes parvenu à insuffler l’esprit héroïque d’un classicisme
hollywoodien au sein de genres – horreur, fantastique, science-fiction – longtemps
considérés comme minoritaires. Et cela en déployant une puissance des cadres,
des situations, de la suggestion qui élargissent aux confins de la métaphysique
vos fictions aussi limpides et éternelles que des contes anciens et vos personnages
tranchants comme une lame de couteau.
Nous croyons à vos films comme des enfants charmés par un sortilège. Votre
cinéma nous hante et continue aujourd’hui de nous faire mûrir stylistiquement,
politiquement, musicalement. Où, sinon grâce à vous, aurions-nous pu rencontrer
des fantômes maléfiques, un brouillard fluorescent, un croquemitaine
psychopathe, une voiture douée de vie, un loup solitaire rusé et borgne, les
interstices des nuits suburbaines, une créature venue des étoiles, un monde qui
dévoilerait sa terrifiante vérité grâce à une paire de lunettes de soleil… ?
Chacun de vos films exalte le plaisir contagieux de la mise en scène, où le travail
sur l’espace, le hors-champ, le visible et l’invisible est toujours renouvelé,
régénéré, afin de mieux redéfinir la peur. Une peur mobile, à l’intérieur comme à
l’extérieur des murs, disséminée entre les corps et se glissant parfois au cœur
même des organismes, venant se brancher directement dans la chair de vos
spectateurs. Mais chez vous, cette peur n’oublie jamais de convoquer les émotions
de personnages et d’acteurs désormais iconiques : Kurt Russell dans New York
1997 ou The Thing, Jamie Lee Curtis dans Halloween, Adrienne Barbeau dans The
Fog, Sam Neill dans L’Antre de la Folie. Sans oublier Karen Allen et Jeff Bridges
dans Starman, un des mélodrames les plus bouleversants des années 80.
Votre clairvoyance de vigie nous paraît encore plus essentielle à un moment où le
consumérisme et les dérives politiques ont rejoint l’acmé terrible que vous
dénonciez déjà dans They Live ou Los Angeles 2013. Vous êtes comme une sorte
de précurseur phosphorescent des ténèbres actuelles. Et tandis que vos
magnifiques bandes-son continuent de hanter la scène électronique française et
internationale, nous souhaitons nous aussi, en tant que cinéastes, réaffirmer
notre amour pour votre travail à travers cet hommage si cher à nos cœurs. Et
vous remercier ainsi pour la puissance plastique, l’imaginaire délirant, la lucidité
inouïe de vos films qui sont comme des pépites éclairant, aujourd’hui et déjà
demain, la nuit magnétique du cinéma.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres, c’est avec une émotion et une joie
immenses que nous vous remettons ce soir le Carrosse d’Or de la SRF.»
Discours de la SRF lors de la remise du Carrosse d’Or à John Carpenter le 15 mai 2019.
39