Veuillez trouver ci-joint pour votre information, la réponse de Lucas Belvaux suite à la "lettre ouverte à Lucas Belvaux" de Pierre-William Glenn du 18 juillet 2013 (lisible ici http://spiac-cgt.org/p-w-glenn-a-lucas-belvaux/).
Que les choses soient claires et dites d'emblée, ta lettre n'est pas "amicale", elle est hypocrite, jésuitique et malhonnête. Son ton condescendant et tes insinuations insultantes m'obligent à te répondre aussi sur la forme et la méthode.
"Le style, c'est l'homme" !
D'abord, puisque tu "veux croire" que ma lettre de démission de la présidence de l'ADRC a été écrite par d'autres, sache que je n'écris pas sous la dictée. Ce que je signe, je l'ai écrit. Ça me permet d'en assumer seul les conséquences, sans regret, jamais.
Mais passons...
Ta saillie sexiste à propos de Catherine Corsini était-elle vraiment nécessaire ? Il existe des centaines d'adjectifs pour qualifier un texte. Pourquoi avoir choisi précisément celui qui, pour le coup, est complètement hors sujet ?
J'imagine que ça te rassure de penser qu'une femme qui ne partage pas tes idées ne peut être qu' "hystérique". Mais peut-être que je me trompe.
Mettons donc ça sur le compte du "retour du refoulé" et passons aussi.
Passons encore sur le populisme si facile, et tellement rance, qui te fait te rallier à cette antique théorie d'une droite plus ou moins extrême à propos d'un cinéma français "mesquin, parasite, nombriliste, cynique et prétentieux". Je trouverais ça assez drôle si ce n'était odieux, dangereux et, hélas, cohérent.
Car tout ça poursuit, évidemment, un objectif précis: désigner un adversaire, le diaboliser, l'isoler et, enfin le neutraliser, comme on dit aujourd'hui. Pour parler clairement, le détruire, le tuer. Car contrairement à ce que te dis (ou "voudrais croire" ?), c'est bien une guerre que tu mènes, et, comme dans toute guerre, il y a un but de guerre, le tien est la destruction de la production indépendante française. Toi, tu dis "films sous-financés" car tu aimes les euphémismes.
Bel objectif !
Si tu l'assumais franchement, on pourrait en parler, en débattre.
Tu pourrais me dire, par exemple, combien de maisons de productions doivent disparaître ?
Tu pourrais me dire aussi, (et le dire publiquement, ce serait encore mieux) à combien tu estimes le nombre de films qui ne doivent plus se faire.
25 ? 30% ?
Et en conséquence, combien d'emplois juges-tu acceptable, raisonnable, nécessaire de supprimer chaque année ?
A combien estimes-tu le nombre de salariés, d'ouvriers, de techniciens, qui seront obligés d'aller se faire exploiter ailleurs ?
D'aller pointer ailleurs ?
Car, je le crains, c'est aussi, et surtout, de ça qu'il s'agit.
Pour sauver le système de l'intermittence en l'état, sans le réformer, il faudra bien en exclure quelques centaines, ou milliers, hélas, de bénéficiaires.
Exclure plutôt que partager un peu plus, c'est un choix politique. C'est le tien, celui des syndicats. Pourquoi pas ?
Ce serait plus courageux de votre part de le dire clairement.
Car je le répète, cette nouvelle convention n'est pas sociale, elle est corporatiste et assassine.
Ton combat n'est pas de gauche.
Il consiste, pour préserver les avantages des mieux lotis, à précariser plus encore les plus précaires.
Le faire sous couvert d'idéaux de gauche est malhonnête.
C'est Henri Gaino citant Jaurès.
Si l'objectif avait été de protéger les salariés, il fallait se battre, becs et ongles, pour des augmentations des salaires les plus bas (je suis pour), inventer et imposer des systèmes de contrôles indiscutables sur les comptes des films faits en participation (je suis pour), l'obligation de payer les cotisations patronales à 100% sur la part des salaires mise en participation (je suis pour) et la création d'une caisse compensatoire alimentée par le compte de soutien pour la part des cotisations salariales.
Je serais pour, aussi, l'interdiction de minoration sur les salaires inférieurs ou égaux à deux fois le SMIC.
Mais je suis, et je serai toujours, contre un système qui, sous couvert de protéger les salariés, en condamnera des centaines, voire des milliers, à une précarité plus grande encore.
Je suis contre une convention collective qui interdira à des individus responsables, et ce en toutes circonstances, de choisir de travailler à des salaires librement négociés parce qu'ils y trouvent un intérêt, quelle que soit la nature de cet intérêt.
Oui, je suis contre les numerus clausus.
Contre toute commission appelée à décider de la vie ou de la mort d'un film en fonction de critères uniquement économiques.
Réformer un système est plus difficile que le détruire, ça demande de l'imagination, de l'intelligence, de l'envie, de l'enthousiasme et de la générosité (comme sur un tournage).
Je ne trouve dans tes écrits que ressentiments, haine, envie d'en découdre et de couper des têtes.
Pour conclure, je remarque que les films que tu cites en référence de ton engagement, ont tous été produits il y a une quarantaine d'années.
Si je le souligne, ce n'est pas pour évoquer le temps qui passe (il passe pour tout le monde), mais pour te rappeler qu'en quarante ans, le cinéma français a changé, ses modes de productions, de diffusion, d'exploitation... Tu n'as pas l'air de t'en être rendu compte.
Jacques Rivette, que tu cites, est produit depuis le début des années 80 par Martine Marignac.
Crois-tu vraiment qu'elle se soit enrichie ?
Crois-tu vraiment que ça a été facile ?
Crois-tu vraiment que ces films, pour la plupart, "sous financés" ne méritaient pas d'exister ?
On pourrait en citer des dizaines comme ça. Ils sont la grandeur, la beauté, la force, la spécificité du cinéma français et ils n'ont jamais empêché les films aux budgets plus conséquents de se faire.
En revanche, ils ont rendu des spectateurs heureux.
Ils ont permis à des gens de travailler, de créer, d'apprendre, d'imaginer et d'exister autrement qu'en tant que pur élément productif, générateur de chiffre d'affaire.
Oui, les ouvriers, les techniciens, tous ceux qui travaillent sur un film l'enrichissent, et ceux qui le nient sont une minorité.
Et c'est aussi pour ça qu'on fait des films, pour ce bonheur inouï de travailler en équipe, avec des gens qu'on a choisi (qui nous ont choisi, aussi) et qu'on respecte pour leurs qualités professionnelles et humaines.
Pour le plaisir de se retrouver, le plus souvent possible.
Jusqu'ici, le facteur humain était, dans la manière française de faire du cinéma, au moins aussi important que le facteur économique. C'est, fondamentalement, ce qui a fait sa singularité et sa richesse.
Je trouve étrange que tu ne t'en sois jamais rendu compte.
Lucas Belvaux