Enquête sur la convention collective - Entretien #2 - Parole de technicien

30/06/2014
SRF

Suite de notre état des lieux sur la convention collective du cinéma avec ce second entretien.
Rencontre avec la costumière Anaïs Romand. Elle a travaillé, entre autres, sur les films de Bertrand Bonello (Saint Laurent), Pascale Ferran (Bird people), Guillaume Nicloux (la Religieuse), Leos Carax (Holy Motors) ...

Propos recueillis le 2 avril 2014, par Laura Tuillier

Quelle est votre position générale sur la convention collective, en tant que costumière ?

Tout d’abord, je pense que les costumiers sont contents d’avoir une convention, ce qui n’était pas le cas. Mais nous ne sommes pas du tout satisfaits de celle-ci. Elle ne correspond pas à notre travail réel. Il y a une séparation idiote entre des « créateurs de costumes », qui feraient des films d’époque, et des « chefs costumiers », qui seraient chefs de poste et ne feraient que des films contemporains, où il n’y a pas de fabrication. Il y a une mauvaise compréhension de ce qu’est la composition visuelle d’un personnage avec des costumes. Les costumiers dignes de ce nom créent avec n’importe quel matériau, aussi bien des habits chinés aux puces que de la fabrication. La moindre décision, même s’il s’agit de mettre un jean de telle façon avec tel T-shirt, c’est autant un acte de création que de faire une robe 1900. Le travail de réflexion sur le personnage est le même ! On essaye de composer visuellement un personnage qui colle à un récit cinématographique. Il y a, certes, une question de connaissance ; mais connaitre les costumes d’époque ne signifie pas que l’on a du talent pour créer les costumes d’un film !

Donc le métier de costumier est, à la base, complètement méconnu et mal compris. On n’est pas d’accord, pour certains d’entre nous, avec ce terme de « créateurs de costumes », présent dans la convention. On préfère le terme anglais de « costume designer ». Certes, on est content que la convention ait intégré des postes qui existent et se pratiquent depuis longtemps dans la branche costume, comme les gens qui patinent les vêtements, ceux qui s’occupent des accessoires (les bijoux, etc…). Avant, tout le monde s’appelait « habilleur », indifféremment. Mais on n’est pas d’accord avec les deux régimes différents de la convention. Pourquoi y aurait-il deux tarifs ? Et les définitions des postes ne sont pas bonnes. Il faudrait qu’on ait un chef de poste, et quelqu’un qui s’appelle « premier assistant ». En l’occurrence, on a l’impression que ce poste a complètement disparu. On sait que les productions vont jouer avec ça pour essayer de payer le moins cher possible.

 

Au niveau des tarifs, est-ce que la grille de la convention change quelque chose pour les costumiers ?

Pour nous, ça ne change rien. On est conscient que cela change beaucoup de choses pour des ouvriers comme les électros, qui arrivaient à avoir d’assez bons salaires avec les heures supplémentaires. Au costume, il se trouve qu’on n’était quasiment jamais payé pour nos heures supplémentaires. Sauf un petit forfait pas très généreux pour les habilleuses, qui faisaient souvent des journées de travail de quatorze heures. Pour ces postes d’habillage, la convention ne va rien changer au niveau de leurs salaires, mais les horaires seront un peu plus légers, il y aura moins d’abus.

 

Et en ce qui vous concerne personnellement ?

Moi, je suis hors convention ! Ce fameux poste « créateur de costumes », qui est le chef de poste, existe dans la grille de préparation mais disparait complètement dans la grille de tournage. On n’existe pas. C’est comme si on n’avait pas le droit de venir sur le plateau, alors que l’on fabrique l’image au jour le jour, avec les acteurs. Et, de fait, on est sur le tournage, et on insiste pour y être ! On ne voit jamais tout en préparation, on s’aperçoit d’énormément de choses au moment de tourner, et il faut absolument que la personne en charge des costumes puisse avoir un rapport avec le réalisateur. Si, pour une scène en extérieur, il se met à pleuvoir, quelqu’un va dire « ce n’est pas grave, on prend n’importe quel parapluie » ; nous, nous pouvons avoir un avis un peu réfléchi, décider de mettre une capuche, ou que le personnage aura les cheveux mouillés. Ca ne prend pas douze heures de travail dans la journée, mais ça demande une présence quotidienne avec l’équipe de réalisation. Notre travail va jusqu’au bout du tournage. Il y a évidemment des producteurs et des réalisateurs intelligents qui le savent. Mais les salaires sont négociés au plus bas, on n’est jamais payé à la présence réelle.

 

Donc cette convention, très rigide pour les autres postes, est très floue pour vous ?

Complètement floue, et l’on reste donc sur des accords de gré à gré.

 

Comment s’est passé le tournage de Saint Laurent, de Bertrand Bonello ?

Le film a été tourné entièrement sous convention, puisqu’il a commencé le 31 septembre 2013 et que la convention s’appliquait dès le 1er octobre. Karine, mon assistante, s’est retrouvée à passer quotidiennement des coups de fils et à s’occuper de l’organisation, au lieu de faire de l’assistanat. On s’est aperçu qu’il y avait un poste organisationnel qui manquait, parce que l’on doit pointer tout le temps nos heures.

 

Comment a été payée votre présence sur le tournage ?

Cela a été négocié au gré à gré, semaine par semaine, un peu à l’arrache. Mais c’est aussi que le film était sous-financé. En général, je fais toujours des films d’auteurs très ambitieux mais pas assez financés. Donc convention ou non, ça ne change rien. Ce que je peux dire sur cette convention, c’est que les auteurs avec qui je travaille, comme Pascale Ferran, Olivier Assayas, Bertrand Bonello, Benoit Jacquot, ce ne sont pas des gens qui ont des budgets énormes. Donc, contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas des films mal préparés, ce sont des films extrêmement préparés. Aux costumes, on essaye de viser juste pour ne perdre ni temps, ni énergie, ni argent. On travaille beaucoup en amont avec les réalisateurs qui, en l’occurrence, ont une vraie vision de leur film en préparation. Ce qui sera pénalisant avec la convention, c’est qu’on ne pourra plus donner de temps, on ne pourra plus faire ce cadeau aux réalisateurs. Comment pourront-ils réussir à gérer la préparation qui était déjà trop courte, sur lesquelles on donnait beaucoup, des week-ends, des réunions interminables le soir…

 

Comment s’est passée la préparation de Saint Laurent, qui, elle, a eu lieu hors convention?

On a fait le décompte de nos heures par curiosité, parce que c’est un des films sur lesquels on a le plus donné. Et l’on faisait 95 heures par semaine. Le film était particulièrement sous-financé par rapport à son ambition, il aurait fallu presque le double de financements. Donc nous n’étions pas les seuls dans ce cas-là : la déco a aussi travaillé beaucoup en préparation. Cela fait plus de vingt ans que je pratique ce métier, et il y a toujours marqué 39h sur ma fiche de paie, et je suis toujours au minimum syndical, malgré mon expérience. C’est le cas sur ce type de films. Cette convention, à mon poste, ne va pas changer grand-chose. Pour les postes de non cadres, cela changera un peu, mais les gens ne vont pas gagner beaucoup.

 

Et maintenant que vous préparez des films sous convention, par exemple celui de Benoit Jacquot ?

Eh bien on travaille plus de 39h par semaine ! Je ne sais pas, on ne compte pas. Mais il y a ces fameuses « heures récupérables ». L’équipe de préparation qui enchaine avec le tournage capitalise des heures supplémentaires, sous forme de crédit.

 

La convention permet donc de clarifier les choses ?

Si on veut. Mais, par exemple, il y a une heure de pause de repas chaque jour, et il est extrêmement rare que nous, aux costumes, on prenne cette pause et qu’on aille manger à la cantine. Sur presque tous les films que j’ai faits, les habilleuses mangent froid, en cinq minutes, sur un coin de la table à repasser. On ne se fait pas d’illusion, la convention sera appliquée sans que l’on tienne compte de la réalité de ce qu’on fait. Sur la préparation, on remplit des fiches de présence, mais l’on revient souvent sans forcément prévenir la production, par goût du travail bien fait…

 

La convention est donc inapplicable ?

Je ne sais pas. Je pense qu’elle ne peut pas être appliquée dans toutes ses contraintes. Cette convention est réaliste pour très peu de postes.

 

Les costumiers sont-ils fédérés ?

Oui, on a fait une réunion avec l’AFCA, une association de costumiers. On a parlé de la convention, pour savoir comment s’adapter. On s’est aperçu que beaucoup ignoraient les mesures de cette convention. Même les directeurs de production s’arrachent les cheveux avec. Il y a des postes qui n’existent pas, et dont on a besoin. Quand on a beaucoup de monde à habiller le matin, on est obligé d’avoir des doubles équipes, de faire venir les gens en décalé, c’est très compliqué de tenir les feuilles de service ! Pour ne pas dépasser cette amplitude de 48h par semaine et par poste, c’est une gymnastique très compliquée. Presque chaque département doit détailler sa propre feuille de service. Le seul rendez-vous commun, c’est l’heure de tournage.

 

Vous pensez qu’il devrait y avoir une personne chargée de veiller à l’application de la convention sur le tournage ?

Je pense qu’il faudrait un poste très technique de gestion de budget, de salaires et de temps de présence de l’équipe. Ce qui est quand même bien avec cette convention, c’est qu’on a compris qu’il fallait nous consulter pour faire un plan de travail cohérent avec le budget. Ce n’était pas le cas avant, on nous donnait le plan de travail une semaine, voire un jour, avant le tournage.

 

Comment définir les relations entre les techniciens et la production sur Saint Laurent ?

Les techniciens qui font du cinéma d’auteur ne sont pas là par hasard. L’équipe de tournage de Bertrand Bonello est tellement soudée autour de ses projets qu’il n’y a pas eu de ressentiment. Quand on a commencé le film, on s’est tous demandé comment on allait s’en sortir, mais il n’y a jamais eu de conflit entre les techniciens. Cela dit, nous avions tous une conscience aigüe du peu de temps que nous avions pour préparer et tourner les plans de la journée, et Bertrand a terminé quelques journées avec la frustration de ne pas avoir tout obtenu.

 

La convention n’empêchera donc pas les films de se faire ?

Il faut quand même que les films d’auteurs soient mieux financés, et j’espère que cette convention fera disparaitre certains films. Je pense qu’il y a beaucoup trop de films, en France, qui sont mal écrits, mal préparés, mal montés ! Quel besoin a-t-on de ces films-là ? Peut-être qu’ils servent à faire tourner des boites de production à l’année... S’il y avait moins de films comme ça, on pourrait peut-être financer un peu mieux les films d’auteurs, pour que les équipes soient un peu plus à l’aise pour travailler.