Entretien avec Arthur Harari. Il a réalisé les moyens métrages La Main sur la gueule et Peine perdue. Il a tourné, au cours de l’été 2014, son premier long métrage, Diamant noir, produit par David Thion des Films Pelléas.
Propos recueillis le 6 octobre 2014 par Louis Séguin.
Quelle était votre position sur la convention avant le tournage de votre film, Diamant noir ?
J’ai été sensibilisé aux problèmes de la convention par le biais de mes producteurs, qui étaient engagés contre l’extension de la convention dite « API ». Pour les films entre 1,5 million et 2,5 millions d’euros, elle pose visiblement de gros problèmes, les surcoûts sont violents. Mais à partir du moment où l’on a dépassé les 2,5 millions d’euros de financement pour mon film, on ne peut pas dire qu’on a vécu un tournage très difficile. Une des raisons de cette convention, à mon avis, c’est d’atténuer la pression des heures supplémentaires, qui représentaient souvent un abus, faisant de la rétribution des techniciens la variable d’ajustement. Ce n’est pas tant le fait que les salaires soient bas ; dans le cinéma, je trouve que les salaires ne sont pas bas, de manière générale.
Le tournage s’est donc déroulé sous annexe 3.
Oui mais encore une fois, je ne peux pas tirer de conclusions générales dans la mesure où on a été privilégié en raison du financement, qui nous a fait passer au dessus de la tranche problématique des 1,5-2,5 millions d’euros. La vertu de cette annexe, c’est que l’on ne fait pas des journées délirantes, et que les salaires sont un peu harmonisés. Les postes les moins payés sont augmentés, et certains salaires très élevés, comme celui du chef opérateur, se retrouvent plus bas. Ca me semble plutôt bien.
Quelle était la durée du tournage ?
On a tourné huit semaines et demie (46 jours), ce qui est très long, et il n’y avait pas de fatigue extrême. On était sur le plateau environ neuf heures par jour, maximum dix, c’est un rythme extrêmement sain ! On a fait quelques semaines de six jours, mais pas beaucoup. C’est mon premier long métrage, et je m’attendais à être écroulé de fatigue. Je sais qu’avant, certains films se faisaient avec des heures supplémentaires délirantes. Cela dit, je peux difficilement juger la convention dans la mesure où on était très privilégié au niveau des financements. On tourne autour de 3 millions d’euros, ce qui est très bien pour un premier film.
La convention a-t-elle eu un effet sur le scénario ?
J’ai écrit à peu près tout le scénario avant la mise en place de la convention (l’écriture a duré environ trois ans). Je n’ai pas réécrit, mais j’ai aménagé certaines scènes. Par exemple la scène à l’université dont parle David Thion dans son entretien, on l’a tournée de jour. Le décor était entièrement vitré, ce qui posait beaucoup de problèmes d’éclairage et de surcoût. Et la scène est très bien de jour. Le travail de la mise en scène, c’est de trouver des solutions aux problèmes que pose l’économie, mais aussi le réel en général. Il y avait beaucoup de scènes de nuit, notamment dans le décor principal, une maison d’architecte très vitrée. Le décor est très beau, il établit toujours des liens entre l’intérieur et l’extérieur. Et finalement, on s’est dit qu’il y avait trop de nuits. Pour des questions financières, bien sûr, mais aussi parce qu’il est épuisant d’enchainer les nuits, et parce qu’il était dommage de ne jamais montrer ce décor de jour. Avec ces changements, la perception de l’espace est plus riche. Les contraintes peuvent permettre de trouver des solutions heureuses au tournage.
J’ai dû couper certaines choses, aussi. Mon scénario de départ correspondait à environ 50 jours de tournage, ce qui était trop. J’ai donc réussi à réduire le tournage de cinq jours, en enlevant peut-être huit séquences. Mais ce n’est pas directement lié à la convention ! Et les condensations effectuées sont bénéfiques, à mon avis.
Est-ce que la production a discuté du scénario ?
Oui, mais c’est une situation très classique de production : on adapte le film aux moyens que l’on a. Là, on avait une certaine ambition de fabrication, une équipe de vingt-cinq personnes environ (ce qui n’est déjà pas énorme) et on ne pouvait pas être moins. De toutes façons, les variables d’ajustement, c’est le temps de tournage et la masse salariale. La convention n’était qu’une donnée parmi d’autres. Au départ, on n’était pas sûr d’avoir 3 millions d’euros. On a finalement eu une aide importante (Eurimages) au dernier moment, qui nous a permis d’avoir nos 46 jours de tournage. Et quoiqu’il en soit, la tension économique est productive, si tant est que la production se trouve du côté du film, ce qui était le cas sur ce film.
Y avait-il un ordre de bataille particulier venant de la production?
Oui, certaines données ont été posées immédiatement par la directrice de production, Hélène Bastide : les heures supplémentaires, les nuits, le travail le dimanche allaient être très limités. Le marché de départ était qu’on ferait très peu d’heures supplémentaires en échange d’un tournage long, ce qu’on a tenu. Avec le premier assistant et le chef opérateur, on avait préparé un plan de guerre pour éviter à tout prix les heures supplémentaires. On pouvait vite basculer dans le rouge. Après, sans maîtriser du tout les tenants et aboutissants du devis ou de la santé financière de la société de production, on pouvait sans doute encaisser quelques surcoûts, mais j’estimais qu’il était de ma responsabilité de tenir cet engagement. Donc on était moins relâché qu’on l’aurait été avant la convention sur cette question des heures supplémentaires, à mon avis. Et sur le tournage, le fait de ne presque pas y avoir droit influait immanquablement sur la méthode de travail.
Mais est-ce que cette tension est positive ou négative ? Je pense qu’elle était plutôt positive, en l’occurrence. Et comme j’avais toujours tourné en pellicule avant, j’avais pris l’habitude de l’économie au tournage.
La durée de préparation du tournage a-t-elle été raccourcie ?
Non, on a eu une préparation idéale. Les Films Pelléas ont très bien estimé ce qu’il fallait comme durée et comme moyens. Mais l’ambition du film, qui se tournait dans trois pays, le nécessitait.
Le découpage du film a-t-il été influencé par les contraintes liées à la convention ?
Non, j’ai toujours beaucoup découpé avec Tom Harari, mon chef opérateur. On est toujours très préparés, on prend des photos de chaque angle ou presque avant le tournage. Il y a beaucoup de décors très grands, de mouvements de caméra complexes, qui nécessitaient de toutes façons un découpage très précis.
La préparation des plans était-elle rendue compliquée par l’impossibilité des heures supplémentaires ?
Ce n’était pas précipité. Mais le film était assez ambitieux à la lumière ; on n’avait jamais travaillé avec une telle ambition, et en même temps on n’avait jamais été aussi tendus sur le temps de tournage. On avait donc préparé le plan de travail heure par heure (ce qui se fait peut-être, et même sûrement, sur tous les longs métrages, je manque d’expérience pour savoir cela…) Sur le tournage, quand on était juste pour la préparation des plans, on a parfois eu besoin de renfort ponctuel. Là encore, relativement à l’ambition de la mise en scène, il faut souvent choisir entre le temps et les salaires.
Le travail avec les comédiens a-t-il été influencé par les contraintes de temps ?
Non, j’ai toujours beaucoup répété. Ca permet d’ailleurs de gagner du temps sur le tournage. Dans ce film, qui plus est, il y a beaucoup de comédiens. J’aurais aimé répéter encore plus, mais ça n’a pas de lien avec la convention.
Quelle était l’ambiance sur le tournage ?
Les techniciens semblent plus détendus, parce qu’ils sont protégés par la convention. A la fin de la journée, même si on n’a pas terminé un plan, ils savent que si on continue ils seront bien payés. En revanche, la production était parfois un peu tendue à cause de ce problème des heures supplémentaires. Il y a toujours un endroit où le directeur de production doit économiser. Mais personnellement, je ne l’ai pas beaucoup senti. Je pense qu’il y a une énorme part de responsabilité dans les mains du metteur en scène ; sa façon de travailler a une influence sur toute l’ambiance du tournage. C’est d’autant plus vrai avec la convention.
Certains producteurs ont parlé dans ces entretiens de l’aspect administratif que prennent les tournages sous convention.
Le principe de la feuille de suivi est un peu bizarre. La scripte a un boulot supplémentaire, elle pointe chaque heure de travail de chaque technicien. C’est un peu gonflant, mais on fait avec !
La production semble-t-elle sereine après le tournage ?
Oui, c’était leur premier tournage sous annexe 3, et c’était en plus mon premier long métrage. Finalement le tournage s’est bien passé, la production n’a pas perdu d’argent jusqu’ici !
Pensez-vous qu’il y aura une influence de la convention sur le montage ?
On a treize semaines de montage image prévues. Si ce n’est pas assez, on discutera, on trouvera des solutions, tout le monde veut faire le meilleur film possible. Et pour le montage, il n’y a que trois personnes à payer. Le gros des coûts est passé.
Que faudrait-il changer à la convention selon vous ?
Pour ne parler que de l’annexe 3, il y a déjà une grosse inconnue, puisqu’elle est dérogatoire et temporaire : que va-t-il se passer à long terme ? Cette annexe permet clairement à des films à budgets relativement modestes de continuer à se faire, mais si elle disparaît pour imposer à tous les films la même convention, ce sera évidemment violent pour tout un pan du cinéma. Je pense qu’il faut donc entériner durablement une convention à paliers.
Par ailleurs, je trouve qu’il est problématique de ne pas avoir un endroit de discussion possible sur le tournage, un gré à gré entre la production et l’équipe. Je pense que cela pourrait exister sans que la production soit en position de force. Pour l’instant, c’est un tabou. On a peur de demander à une équipe de faire une heure supplémentaire sans la payer plein pot, et c’est normal puisque c’est illégal ! Je pense que ça fait partie du cinéma de pouvoir demander à un technicien de travailler selon les moyens que l’on a pour un film, parce que les techniciens ne travaillent pas sur ces films à « petits » budgets sans savoir qu’ils représentent souvent la part la plus inventive et libre du cinéma français. Et je crois que la loi devrait prendre ça en compte, je pense que ce n’est pas nécessairement contradictoire avec la logique d’une plus grande protection des salariés que garantit la nouvelle convention.
Après je pense qu’on ne peut pas penser cette convention sans penser le financement déséquilibré du cinéma. Il y a toujours des films qui se font avec 30 millions d’euros, qui sont déficitaires mais qui continueront à se faire parce que tout le monde se sucre dessus. Il y a eu la bombe Maraval, mais il n’y a visiblement aucune volonté politique de s’attaquer à ce problème. L’écart continue à se creuser entre les petits films intéressants et les gros films commerciaux.
Je pense aussi qu’il faudrait plafonner les salaires sur les films. Les gens prennent ça pour du stalinisme. Mais certains salaires sont aberrants, notamment chez les acteurs ! C’est vrai que le cinéma est un endroit de libéralisme ; c’est étrange de dire ça, mais il faut que ça le reste malgré tout. C’est dans cette zone-là que l’on prend des risques. Mais, par ailleurs, les dispositifs d’encadrement du cinéma en France sont clairement vertueux. Il faut donc trouver un compromis entre ce libéralisme et des décisions politiques fermes. La taxe des billets qui permet au CNC de financer le cinéma français, par exemple : c’est économiquement violent, mais c’est nécessaire ! Il a bien fallu que quelqu’un la prenne, cette décision.