Reprise des tournages : les cinéastes de la SRF s'interrogent...

Communiqué de presse
11/06/2020

Communiqué de presse

5 juin 2020

 

Tournages : retour à l’anormal

 

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre de la Culture,

 

Depuis plusieurs semaines, nous, professionnels du cinéma et de l’audiovisuel, réfléchissons ensemble aux conditions dans lesquelles notre secteur pourrait reprendre son activité et notamment ses tournages.

 

A ce jour, un Guide a été transmis au Ministère du Travail par les Comités centraux d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) Cinéma et Audiovisuel, rassemblant les organisations syndicales de producteurs et de salariés, ainsi que des participants à titre consultatif comme la médecine et l’inspection du travail.

 

Ce guide établit l’ensemble des règles sanitaires à suivre pour permettre la reprise des tournages. Nous en avons pris attentivement connaissance et nous constatons que malheureusement, ces nouvelles conditions de travail sont  en grande partie incompatibles avec la pratique de nos métiers. 

 

Les scènes d’intimité, les scènes d’amour, mais aussi toutes les scènes incluant des personnes âgées ou « à risque », les scènes de foule, de bagarre, toutes les scènes où les personnages entrent en contact, et d’une manière encore plus radicale tous les plans rapprochés sur des acteurs, ont vocation à être remis en question et pourront faire l’objet d’une réécriture.

 

Les décors naturels, qui présentent des risques prétendument plus difficiles à maîtriser qu’un plateau de cinéma, pourront eux aussi être remis en question.

 

Enfin, l’ensemble des collaborateurs devront appliquer les mesures de distanciation sociale énoncées par le gouvernement, ce qui implique le port des masques pour les acteurs durant toutes les phases de la création, et le respect des distances physiques de sécurité par tous, techniciens et acteurs.

 

Dans de telles conditions, la part de notre secteur qui peut réellement s’adapter et reprendre les tournages  reste bien faible.

 

A travers les films, les séries, les documentaires que nous fabriquons, nous proposons au public une représentation du monde. Au cœur de ces œuvres, qui convoquent le réel comme l’imaginaire, il y a les acteurs, dont nous filmons les corps et les visages. Si ces personnes ne peuvent plus s’approcher à moins d’un mètre… ne plus se toucher, s’embrasser, crier ou rire trop fort au risque de postillonner… la représentation d’un monde « sans Covid », n’est tout simplement plus possible. Il s’agit là d’une évidence. Et la représentation d’un monde « avec Covid », où chaque scénario serait réécrit pour intégrer cette réalité, n’est pas souhaitable.

 

Nous traversons une situation particulièrement lourde et inquiétante. Notamment pour celles et ceux d’entre nous dont les tournages ont dû être interrompus et doivent absolument être achevés. Nous souhaitons vivement que ceux-ci puissent reprendre rapidement. Mais cela ne doit pas se faire au détriment du contenu de nos films et de nos choix artistiques. 

 

Nous sommes des techniciens et des artistes. Nous sommes responsables au même titre que n’importe quel citoyen, travailleur, et nous comprenons et respectons les préconisations des autorités sanitaires. Et c’est parce que nous sommes responsables que nous craignons aujourd’hui qu’une reprise des tournages dans les conditions définies par ce Guide et par l’application littérale des règles qu’il propose ne mette en péril l’intégrité de nos films. 

 

A cela s’ajoute l’important surcoût financier dû aux  règles sanitaires, qui est voué à être porté entièrement par le producteur, sans aucune solidarité de la part des autres financeurs du film. Les films les plus fragiles sont ceux qui en pâtiront le plus, et leur qualité en sera amoindrie. Par-dessus tout, nous nous inquiétons aussi de voir certaines des recommandations de ce Guide devenir des normes et des règles qui s'éternisent, comme c'est souvent le cas des mesures prises en état d'urgence, et réglementent à l'avenir nos métiers. 

 

En tout cas, aujourd'hui et dans cette situation, annoncer que l’activité de notre secteur peut tout simplement reprendre relève du mensonge. Nous appelons à une reprise de nos tournages beaucoup plus en accord avec la nature singulière de notre travail.

 

Nous nous inquiétons également d’être sans information concrète concernant la mise en application de vos engagements en direction du régime de l’intermittence du spectacle. Le 6 mai, vous avez en effet annoncé que les artistes et techniciens bénéficieraient d’une « année blanche » et verraient leurs droits prolongés jusqu’à fin août 2021 : nous attendons encore que cette promesse soit traduite dans les faits, et de connaître le mode de calcul des droits concernés.

 

Nous demandons donc à nouveau, avant toute chose, la mise en application imminente des mesures d’urgence absolument nécessaires à la survie de notre secteur dont le rôle essentiel, économique et culturel n’est plus à démontrer.

 

 

Le conseil d’administration de la SRF : Bertrand Bonello, Catherine Corsini, Aude Lea Rapin, Helena Klotz, Rebecca Zlotowski, Alexandre Lança, Maxence Voiseux, Marie Amachoukeli, Jacques Audiard, Lucie Borleteau, Guillaume Brac, Yann Gonzalez, Emmanuel Gras, Thomas Jenkoe, Vergine Keaton, Inès Loizillon, Katell Quillvéré, Axelle Ropert, Pierre Salvadori, Céline Sciamma, Justine Triet, Aurélien Vernhes-Lermusiaux.

SRF