À la suite du webinaire proposé par la SRF en juin 2021 sur les négociations en cours pour déterminer la place que les plateformes pourraient avoir dans notre chronologie des médias et encadrer leurs investissements, nous vous invitons à découvrir une vidéo synthétique qui revient sur les conséquences que ces changements majeurs pourraient avoir sur nos droits d'auteurs.
***
Cette analyse fait suite à la tribune inititiée par la SRF et parue dans l'édition papier du Monde le 11 mars 2021 et signée par plus de 100 cinéastes français. Retrouvez la, ainsi que la liste des signataires sur le site du Monde.
jeudi 11 mars 2021
Tribune
LE JOUR D'APRÈS
Nous sommes auteurs, réalisateurs et réalisatrices et nous sommes inquiets pour l'avenir du cinéma.
Le 31 mars, le gouvernement risque d’entériner un décret particulièrement favorable aux plateformes de streaming en leur offrant une place avantageuse dans la chronologie des médias, en contrepartie d’investissements dérisoires dans le cinéma.
On estime par exemple que Netflix, première d’entre elles avec ses 8 millions d’abonnés, investirait environ 18 millions d'euros en préachats de cinéma français… A comparer avec les 104 millions d'euros en 2019 de Canal+ qui, par des accords contraignants avec la profession, nous garantissent une centaine de films par an et une véritable diversité. Ou à comparer encore aux 28 millions d'euros de OCS qui permettent le préachat de près d’une quarantaine de films par an.
Si le gouvernement passait en force, faisant fi de ces nécessaires accords interprofessionnels, cela aurait pour conséquence immédiate de fragiliser les partenaires historiques, et pousserait certains à s’aligner sur le modèle de ces nouveaux entrants.
Que se passerait-il si, en toute logique et pour se protéger face à cette concurrence, Canal+ devenait à son tour une plateforme soumise à des obligations bien moindres dans le cinéma ?
Célébré un temps, le décret SMAD suscite aujourd'hui bien des craintes et désillusions. En l'état, il risque de fragiliser un écosystème sur lequel repose pourtant notre souveraineté culturelle.
Nous lisons ici et là que le numérique et ses opérateurs mondiaux règlent la nouvelle marche du monde, qu'il serait sage de se mettre au pas de cette “modernité”. De cesser d'y résister.
Nous ne voyons pas de gage de modernité dans le risque de destruction d'un tissu culturel et cinématographique riche de sa diversité. S'il y a un avenir que nous embrassons, ce n'est pas celui du démantèlement.
C'est celui d'une politique de soutien à la création qui demeure forte, afin de défendre les jeunes auteurs, la singularité des expressions, la rémunération juste des créateurs, l'autonomie française de production et de diffusion. Cela pour que perdurent les rencontres humaines dans nos salles de cinéma, et que l'audace cinématographique soit visible jusque sur les écrans individuels de nos foyers.
Défendre cette liberté et cette exception culturelle est résolument une ambition moderne. C'est en cela que la chronologie des médias n'a rien de daté : c'est elle qui, grâce à des mécanismes sophistiqués, contraint les diffuseurs de cinéma à financer la création en amont.
Il en va de l'écosystème culturel comme de l'environnement : il faut le protéger, préserver ses singularités et ses pluralités.
Il ne s'agit donc pas de défendre notre “pré carré”…mais de transmettre une terre aux générations suivantes. Nous ne résistons pas pour les privilèges de notre petit terrain - nous nous battons pour que survive à l’échelle du pays un terreau fertile pour la création.
Nous sommes cinéastes, et nous nous étonnons de lire une tribune médiatique de deux personnalités - MM. Pascal Rogard et Jérôme Seydoux - qui, malgré l'estime que nous leur portons, mélangent “chronologie des médias” (concernant le cinéma) et “fonds de soutien audiovisuel” (concernant les téléfilms). Cet esprit de confusion nous pousse à réaffirmer notre position très clairement : nous sommes disposés à accueillir les plateformes, mais ce seront à elles de s’adapter à la chronologie des médias et non l’inverse. Ce seront à elles de respecter notre droit d'auteur français et sa juste rémunération liée à la diffusion des œuvres - ces plateformes auront à s'y engager à travers une clause auteur.
Aujourd'hui nos films existent grâce à un écosystème précieux et subtil du financement des œuvres, qui allie distributeurs indépendants, diffuseurs audiovisuels historiques, organismes nationaux et régionaux. C'est cet écosystème qui nous permet ensuite de faire vivre et vibrer le parc de cinéma le plus important d'Europe.
Les plateformes sont les bienvenues pour renforcer cet écosystème, mais nous ne signerons pas un accord qui risquerait de l'anéantir. Nous sommes persuadés qu'une coexistence est possible, et qu'elle peut être vertueuse.
Nous sommes cinéastes, et voilà l'avenir que nous embrassons.
Contact presse : Rosalie Brun /rbrun@la-srf.fr/ 01.44.89.62.58