A une époque où le cinéma se normalise, l’arrivée des plateformes mondiales, à l’instar de Netflix et bientôt d’autres plus puissantes encore, nous a fait croire à un nouvel espace de liberté et d’audace. Une liberté de plus en plus contrainte aujourd’hui par la frilosité des différents guichets de financement.
Ces plateformes nous obsèdent, deviennent incontournables. Elles sont au cœur de toutes les préoccupations. Comment travailler avec elles alors que les financements des chaînes historiques atteignent leur niveau le plus bas depuis 10 ans, et comment les intégrer dans notre système de financement ? En quoi ces nouveaux interlocuteurs bousculent certes les usages, mais aussi les pratiques dans la fabrication d’une œuvre ?
D’une espérance de liberté, nous constatons une logique éditoriale purement industrielle. Pour pouvoir parler au monde entier, ces opérateurs doivent s’inscrire dans une mécanique d’ « hyper offre ». C’est là qu’intervient le dictat de l’algorithme. Le spectateur n’est plus acteur de ses propres choix, puisque l’on pense à sa place. On segmente les publics qui deviennent des cibles commerciales.
Dans le processus d’écriture, les scénarios doivent être aussi « logarithmés », répondre à la volonté des viewers, notamment les millenials. La volonté de l’auteur apparaît ainsi comme secondaire. Le langage entre le cinéaste, le producteur et le diffuseur n’est plus le même.
La question du temps est également au cœur de ces nouvelles pratiques. On accélère le processus de fabrication des œuvres, mettant l’équipe sous la pression d’un timing de livraison restreint. L’artisanat cède ainsi la place à la grande distribution.
La question des pratiques contractuelles se pose plus que jamais: la garantie du final cut pour un.e cinéaste, l’assurance d’une rémunération pour les auteurs des droits monde (hors France). Comment garantir aux auteurs une rémunération juste, sans imposer dans la future loi audiovisuelle une obligation de transparence sur la consommation des œuvres ?
La question de l’accès aux œuvres pour le public se pose aussi. Aujourd’hui, chaque acteur de l’audiovisuel mondial lance ou veut lancer sa plateforme de SVOD. La SVOD est devenue un usage extrêmement puissant et nous comprenons la logique industrielle. Mais pour avoir accès aux œuvres, il faut désormais cumuler les abonnements. Cette logique d’exclusivité propre aux plateformes prive, contrairement à la logique de préfinancement actuelle, le public des œuvres qu’il souhaite voir s’il n'est pas abonné au service. Une offre atomisée profitable à quelques groupes très puissants.
S’ensuit un certain nombre de dérives des opérateurs nationaux pour pouvoir les concurrencer. La logique d’intégration verticale commence à s’installer, en ouvrant une porte vers la fragilisation des producteurs indépendants. Nos alliés de toujours.
Pourtant, en dépit de ces constats qui doivent ouvrir la voie à une véritable régulation, les plateformes de SVOD ont nourri un appétit de séries et de films sans commune mesure. Nous devons accueillir cette révolution là, mais avec des règles du jeu équitables.
A l’heure où les diffuseurs historiques souhaitent alléger leurs obligations pour affronter cette concurrence (qui a quelques années d’avance), nous voulons leur répondre que ce n’est qu’en investissant massivement dans les contenus et non en fragilisant la création indépendante par une baisse de leurs engagements, qu’ils feront la différence. Ce n’est qu’en prenant des risques, en finançant des œuvres singulières, audacieuses, pour des publics diversifiés, qu’ils se démarqueront.
La chronologie des médias fut une occasion quelque peu ratée, pour les besoins d’un consensus, de créer un système véritablement incitatif que nous souhaitions pour les plateformes vertueuses et de procéder à des expérimentations sur la fenêtre salle afin d’assouplir la diffusion des films.
Intégrer le principe de neutralité technologique dans la prochaine loi audiovisuelle doit être la prochaine étape. Imposer des obligations de financement spécifiques au cinéma à l’ensemble des plateformes en est une autre.
Netflix a aujourd’hui autant d’abonnés que Canal+ en France. Aux côtés de Amazon, Disney-Fox, Apple Video, Warner et d’autres qui feront leur entrée sur le marché à moyen terme, faisons en sorte que la production européenne indépendante y trouve sa place tant dans sa diffusion qu’en matière de préfinancement, à l’occasion de la transposition de la directive SMA.