En 1980, Andreï Sakharov est exilé dans la ville fermée de Gorki pour avoir alerté le monde du danger que représentait l’URSS. Assigné à résidence et surveillé en permanence par le KGB, il est coupé du monde par le pouvoir soviétique durant plusieurs années, pendant lesquelles il effectuera deux grèves de la faim et sera torturé, intubé et nourri de force. Il faudra la perestroïka (restructuration) et la glasnost (transparence) en 1986, pour que Mikhaïl Gorbatchev mette fin à son exil et à son calvaire.
Cela n'empêche pas un autre dissident russe, Anatoli Martchenko, de mourir dans sa cellule la même année, le 8 décembre 1986, après onze ans d'emprisonnement et une grève de la faim de 117 jours. Son crime était d'avoir révélé dans un livre la réalité des camps de travail soviétiques. Il disait notamment : "La seule possibilité de lutter contre le mal et l'illégalité consiste à mon avis à connaître la vérité."
Cette vérité a fissuré puis fait tomber les murs. L’URSS a laissé place à la Russie, l’Ukraine, la Géorgie, les Républiques Baltes... Pourtant, c’est toujours pour les mêmes raisons que le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov a entamé une grève de la faim illimitée le 14 mai 2018 : Faire connaître la vérité, alerter le monde.
La vérité, c'est qu’au XXIe siècle, Oleg Sentsov, ce jeune cinéaste, auteur d'un premier film repéré par les grands Festivals européens de cinéma, père de deux enfants, a disparu le 10 mai 2014 alors qu’il sortait de chez lui, enlevé par les services secrets dans sa Crimée natale, ce morceau d'Ukraine que les Russes venaient brutalement d'annexer. La vérité, c’est qu’il a été battu et torturé, emprisonné en Russie et condamné un an plus tard à vingt ans de prison, à la suite d’un procès dénoncé comme « stalinien » par Amnesty International.
La vérité, c'est que près de soixante-dix autres Ukrainiens sont indûment détenus en Russie. La grande majorité d’entre eux viennent de Crimée, beaucoup sont Tatars, et ont été - comme Oleg Sentsov - enlevés et « nationalisés » de force pour pouvoir être condamnés et emprisonnés en Russie. Certains attendent toujours leur procès, les autres ont écopé de très lourdes peines de prison à "régime sévère" -, la plupart suite à des procès truqués, sur la foi de témoignage obtenus sous la torture. Des procès « pour l'exemple ».
Les cinéastes et les intellectuels ont beau se mobiliser dans le monde entier, y compris en Russie avec les risques que cela comporte, Vladimir Poutine reste inflexible. Il faut dire que depuis vingt ans, il aura eu tout le temps de mesurer les faiblesses et les lâchetés des démocraties, qui lui ont laissé les mains libres en Tchétchénie puis en Géorgie, en Crimée, en Syrie... Alors pourquoi reculerait-t-il si personne n’ose même le lui demander ?
Du fond de sa cellule, Oleg Sentsov a compris que les otages ukrainiens du Kremlin étaient seuls au monde. Il a alors décidé de reprendre son destin en main et n’ayant pour arme que son seul corps, de commencer une grève de la faim illimitée. Pour souligner un peu mieux encore la dimension politique de son action, il a demandé la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie, sans demander la sienne.
Mais la portée de son geste, d’un courage inouï, va bien au-delà, puisqu’il oblige l’Europe et plus largement le monde à ne pas oublier l’Ukraine, la Crimée, le Donbass. Il nous alerte, comme l’avaient fait hier Martchenko et Sakharov à propos de l’URSS, sur les dangers que fait courir la Russie de Poutine à la démocratie et à ses valeurs : liberté, respect des peuples, paix...
Le Parlement européen ne s’y est pas trompé et, au citoyen d’honneur de la ville de Paris qu’Oleg Sentsov était déjà, il a décerné le 23 octobre dernier le Prix Sakharov, accompagné de la déclaration suivante : «Grâce à son courage et à sa détermination, et en mettant sa vie en danger, le réalisateur Oleg Sentsov est devenu un symbole de la lutte pour la libération des prisonniers politiques en Russie et dans le monde entier. En lui décernant le prix Sakharov, le Parlement européen lui exprime sa solidarité et soutient sa cause. Nous demandons sa libération immédiate. »
Nous attendons désormais que ce symbole fort qu’est le Prix Sakharov se traduise en actes politiques.
Demain, à l’invitation d’Emmanuel Macron, cent chefs d’État - dont Vladimir Poutine - seront réunis à Paris pour le centième anniversaire de l’armistice marquant la fin de la première guerre mondiale.
Alors que partout, les nationalismes reviennent en force, nous rappelant les heures les plus sombres du XXème siècle, nous exhortons les chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties à utiliser tous les moyens qui sont à leur disposition pour contraindre la Russie à respecter le droit international : réclamer une enquête au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, élargir les accords de Minsk pour permettre un échange de prisonniers dont Oleg Sentsov ferait partie, obtenir la condamnation de la Russie par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui s’est déjà reconnue compétente pour juger cette affaire.
Si aucune de ces voies n’aboutit, il sera temps de voter une loi au niveau de l’Union européenne permettant de sanctionner les responsables du sort d’Oleg Sentsov. Une telle loi existe déjà dans plusieurs pays (Etats-Unis, Estonie, Lituanie, Royaume Uni, Canada…) c’est la loi Magnitsky – ainsi nommée en hommage à l’une des victimes du système prédateur mis en place par Poutine. Il suffira que l’Europe l’adopte à son tour pour pouvoir sanctionner lourdement les bourreaux d’Oleg Sentsov et des autres otages ukrainiens.
Au 100e anniversaire de la fin de la première guerre mondiale, ce jour de paix entre les peuples, nous exhortons les chefs d'État et de gouvernement des démocraties à obtenir de Vladimir Poutine qu'il s’engage à libérer immédiatement et sans condition Oleg Sentsov et les autres prisonniers politiques ukrainiens.
Qu’il les laisse rentrer chez eux.
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Premiers signataires (vous pouvez les rejoindre ici)
Dominique Abel, cinéaste (Belgique)
Galia Ackerman, historienne (Russie)
Hala Alabdalla, cinéaste, (Syrie)
Darina Al Joundi, actrice, auteure (Syrie, Liban)
Anne Alvaro, comédienne
Marie Amachoukeli, cinéaste, co-présidente de la SRF
Mathieu Amalric, acteur et réalisateur
Jean-Pierre Améris, cinéaste
Arnold Antonin, cinéaste (Haïti)
Antoine Arjakovsky, historien.
Aïcha Arnaout, poète (Syrie)
Ariane Ascaride, comédienne
David Assouline, vice-président du Sénat
Yvan Attal, acteur et réalisateur
Jacques Audiard, cinéaste
Nabil Ayouch, cinéaste (France, Maroc)
Rakhshan Banietemad, cinéaste (Iran)
Xavier Beauvois, cinéaste
Lucas Belvaux, acteur et réalisateur
Caroline Benjo, productrice
Alain Besançon, historien, Membre de l’Institut
Julie Bertuccelli, cinéaste, présidente de la SCAM
Sophie Bessis, historienne (France, Tunisie)
Enki Bilal, dessinateur, cinéaste
Jane Birkin, actrice et chanteuse
Manuel Blanc, comédien
Alain Blum, historien et démographe
Bertrand Bonello, cinéaste, co-président de la SRF
Bong Joon-ho, cinéaste (Corée du Sud)
Jérôme Bonnell, cinéaste
Sylvain Bourmeau, journaliste
Frédéric Boyer, écrivain, éditeur
Guillaume Brac, cinéaste
Geneviève Brisac, écrivain
Pascal Bruckner, philosophe et écrivain
Fanny Burdino, scénariste
Robin Campillo, cinéaste
Laurent Cantet, cinéaste
Leos Carax, cinéaste
Emmanuel Carrère, écrivain
Joël Chapron, spécialiste du cinéma russe
Chad Chenouga, acteur et réalisateur
Evan Clarry, cinéaste, Qld Chapter Head Australian Director's Guild (Australie)
Philippe Claudel, écrivain
François Cluzet, acteur
Clément Cogitore, cinéaste
Daniel Cohn-Bendit, homme politique
André Comte-Sponville, philosophe
Anne Consigny, comédienne
Antony Cordier, cinéaste
Catherine Corsini, cinéaste
Laurence Côte, comédienne
Cécile Coudriou, présidente d'Amnesty International France
François Croquette, ambassadeur pour les droits de l'Homme
Jean-Pierre Dardenne, cinéaste (Belgique)
Luc Dardenne, cinéaste (Belgique)
Marie Darrieussecq, écrivaine
Françoise Daucé, politiste
Émilie Deleuze, cinéaste
Christophe Deloire, journaliste, secrétaire général de Reporters Sans Frontières
Marianne Denicourt, comédienne
Marie Desplechin, écrivaine
Antoine Desrosières, cinéaste
Lav Diaz, cinéaste (Philippines)
Souleymane Bachir Diagne, philosophe (Sénégal)
Alice Diop, cinéaste
Mati Diop, cinéaste (France, Sénégal)
Samuel Doux, scénariste
Olivier Ducastel et Jacques Martineau, cinéastes
Atom Egoyan, cinéaste (Canada)
Michel Eltchaninoff, philosophe, fondateur des Nouveaux Dissidents
Carolin Emcke, écrivaine
Annie Ernaux, écrivaine
Amat Escalante, cinéaste (Mexique)
Abbas Fahdel, cinéaste (Irak)
Didier Fassin, anthropologue
Eric Fassin, sociologue, Université Paris 8
Philippe Faucon, cinéaste
Victor Fainberg, dissident soviétique (URSS, France)
Léa Fehner, cinéaste
Pascale Ferran, cinéaste
Jean-Marc Ferry, philosophe
Emmanuel Finkiel, cinéaste
Carole Fives, écrivain
Stéphane Foenkinos, cinéaste
Marina Foïs, comédienne
Camille Fontaine, cinéaste
Dan Franck, écrivain
Denis Freyd, producteur
Harald Fried, cinéaste (Autriche)
William Friedkin, cinéaste (États-Unis)
Jean-Michel Frodon, journaliste, enseignant
Nicole Garcia, comédienne, cinéaste
Louis Garrel, acteur et réalisateur
François Gedigier, chef monteur
Sylvain George, cinéaste
Thomas Gilou, cinéaste
Christophe Girard, adjoint à la Maire de Paris, en charge de la Culture
Arlette Girardot, réalisatrice documentaire
Amos Gitai, cinéaste (Israël)
Raphaël Glucksmann, essayiste
Agnès Godard, directrice de la photographie
Jean-Luc Godard, cinéaste
Fabienne Godet, cinéaste
Miguel Gomez, cinéaste (Portugal)
Yann Gonzalez, cinéaste
Thoniké Gordadzé, universitaire, ancien ministre pour l'intégration européenne de la République de Géorgie
Fiona Gordon, cinéaste (Canada, Australie, Belgique)
Alexandra Goujon, politiste
Romain Goupil, cinéaste
Anne-Marie Goussard, consul honoraire de Lituanie
Joana Hadjithomas, cinéaste (Liban)
Rachid Hami, cinéaste
Michel Hazanavicius, cinéaste
Lucile Hadzihalilovic, cinéaste
Benoît Hamon, homme politique
Jean Hatzfeld, journaliste
Anne Hidalgo, Maire de Paris
Christoph Hochhäusler, cinéaste (Allemagne)
Marie Holzman, sinologue
Axel Honneth, philosophe
Eva Illouz, philosophe
Irène Jacob, comédienne
Naïssam Jalal, flutiste et compositrice (Syrie, France)
Agnès Jaoui, actrice et réalisatrice
Thomas Jenkoe, réalisateur
Kamen Kalev, cinéaste (Bulgarie)
Aurélia Kalisky, chercheuse en littérature
Sam Karmann, acteur et réalisateur
Irena Karpa, écrivaine et chanteuse
Reda Kateb, comédien
Aki Kaurismaki, cinéaste (Finlande)
Benjamin Kedar, historien
Maylis de Kerangal, écrivain
Lodge Kerrigan, cinéaste (États-Unis)
Farhad Khosrokhavar, sociologue
Cédric Klapisch, cinéaste
Héléna Klotz, cinéaste
Nicolas Klotz, cinéaste
Patrick Klugman, adjoint à la Maire de Paris, en charge des relations Internationales
Jan Kounen, cinéaste
Gérard Krawczyk, cinéaste
Nathalie Kuperman, écrivaine
Geoffroy de Lagasnerie, philosophe
Marion Laine, cinéaste
Isabelle de La Patellière, agent artistique
Paul Laverty, scénariste et réalisateur (Grande Bretagne)
Mike Leigh, cinéaste (Grande Bretagne)
Pierre Lemaitre, écrivain
Serge Le Peron, cinéaste et enseignant
Diego Lerman, cinéaste (Argentine)
Sébastien Lifshitz, cinéaste
Pierre Linhart, scénariste
Jonathan Littell, écrivain
Jean-Louis Livi, producteur
Anne Loiret, comédienne
Édouard Louis, écrivain
Sergueï Loznitsa, cinéaste (Ukraine)
Gilles Marchand, cinéaste
Oleksandra Matviychuk, human rights defender (Ukraine)
Patricia Mazuy, cinéaste
Jiří Menzel, cinéaste (République Tchèque)
Agnès Merlet, cinéaste
Olivier Meyrou, cinéaste
Anne-Marie Miéville, cinéaste (Suisse)
Radu Mihaileanu, cinéaste, président de l'ARP
Jonathan Millet, cinéaste
Ariane Mnouchkine, Metteur en scène de théâtre, animatrice et fondatrice du Théâtre du Soleil
Avi Mograbi, cinéaste (Israël)
Ossama Mohammed, cinéaste (Syrie)
Dominik Moll, cinéaste
Sarah Moon, photographe
Eleonore Morel, directrice générale de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH)
Richard Moyon, co-fondateur du RESF
Aurore Mréjen, docteur en philosophie, chercheuse au LSCP
Cristian Mungiu, cinéaste (Roumanie)
Safy Nebbou, cinéaste
Orwa Nyrobia, cinéaste (Syrie), directeur artistique du Festival du Documentaire d'Amsterdam
Michel Ocelot, cinéaste
Rithy Panh, cinéaste (Cambodge, France)
Benoit Peeters, écrivain et scénariste
Elisabeth Perceval, cinéaste
Thierry de Peretti, cinéaste
Nicolas Philibert, cinéaste
Corneliu Porumboiu, cinéaste (Roumanie)
Mathieu Potte-Bonneville, philosophe
Olivier Pourriol, philosophe
Valérie Pozner, historienne
Martin Provost, cinéaste
Katell Quillévéré, cinéaste
Lynn Ramsay, cinéaste (Grande Bretagne)
Aude Léa Rapin, cinéaste
Jean-Paul Rappeneau, cinéaste
Carlos Reygadas, cinéaste (Mexique)
Jaime Rosales, cinéaste (Espagne)
Brigitte Rouan, actrice et réalisatrice
Maxime Rovère, philosophe
Christophe Ruggia, cinéaste, co-président de la SRF
Nicolas Saada, cinéaste
Ira Sachs, cinéaste (États-unis)
Malik Salemkour, Président de la Ligue des Droits de l’Homme
Walter Salles, cinéaste (Brésil)
Céline Sallette, comédienne
Pierre Salvadori, cinéaste
Jean-Marc Schick, mixeur
Pierre Schoeller, cinéaste
Carole Scotta, productrice
Claire Simon, cinéaste
Abderrahmane Sissako, cinéaste (Mauritanie)
Marie-Claude Slick, journaliste
Juan Solanas, cinéaste (Argentine)
Salomé Stevenin, actrice et réalisatrice
Bernard Stiegler, philosophe
Jan Svěrák, cinéaste (République tchèque)
Abdellah Taïa, écrivain et cinéaste (Maroc)
Bertrand Tavernier, cinéaste
Éric Toledano, cinéaste
Agnès Tricoire, déléguée générale de l'Observatoire de la Liberté de Création et avocate
Joachim Trier, cinéaste (Norvège)
Justine Triet, cinéaste
Michel Tubiana, Président d'honneur de la Ligue des Droits de l’Homme
Andrei Ujica, cinéaste (Roumanie)
Petr Vaclav, cinéaste (République tchèque, France)
Cécile Vaissié, slaviste et historienne
Jaco Van Dormael, cinéaste (Belgique)
Karin Viard, comédienne
Delphine de Vigan, écrivaine
Vanina Vignal, cinéaste
Anne Villacèque, cinéaste
Denis Villeneuve, cinéaste (Canada)
Marina Vlady, comédienne
Sophie Wahnich, historienne
Régis Wargnier, cinéaste
Apichatpong Weerasethakul, cinéaste (Thaïlande)
Wim Wenders, cinéaste (Allemagne)
Nicolas Werth, historien
Anne-Frédérique Widmann, réalisatrice documentaire (Suisse)
Frédérick Wiseman, cinéaste (États-Unis)
Francis Wolff, philosophe
Thierry Wolton, historien
Frédéric Worms, philosophe
Slavoj Zizek, philosophe (Slovénie)
AndreI Zvyagintsev, cinéaste (Russie)