Chers réalisateurs,
Il y a un peu plus d’un mois, une vingtaine de réalisateurs de la nouvelle génération (ayant réalisés un, deux ou trois long-métrages) se sont réunis, dont quelques membres du CA de la SRF.
Ils savaient que le moratoire de six mois, qui sort actuellement les films de moins de 1,25 M€ du champ d’application de la convention, doit être renégocié d’ici le 8 avril et qu’il y a des risques très sérieux que cette mesure ne soit pas reconduite.
Ces réalisateurs étaient par ailleurs toujours inquiets face aux conséquences de l’application de la convention collective et en particulier la très grande rigidité que cela produit en tournage, via le paiement des heures de transport et de préparation, et les majorations des heures supplémentaires et des heures de nuit.
Le témoignage de l’un d’entre eux, venant tout juste de finir le tournage de son dernier film était à cet égard très parlant.
Leurs inquiétudes ont ravivé les nôtres.
Lors d’une réunion la semaine suivante, les membres du CA en ont longuement discuté. Sachant que nous ne sommes pas autour de la table des négociations, notre capacité à peser dans la discussion actuelle autour des films de moins de 1,25 M€ nous semblait très limitée.
La seule idée qui ait émergé était la possibilité de déposer au nom des réalisateurs de la SRF un recours (ou « intervention volontaire ») en appui à la requête déposée par la CFDT auprès du Conseil d’Etat en septembre dernier, contre l’extension de la convention collective par le gouvernement le 1° juillet 2013.
Le débat fut long et partagé entre nous.
Tout le monde s’accordait sur le fait que cette convention a déjà des effets néfastes :
- Parce qu’elle rigidifie incroyablement les tournages et rend beaucoup plus difficile d’inventer des pratiques spécifiques à chaque projet artistique à l’intérieur d’un cadre aussi normatif.
- Parce qu’elle tend à diminuer les temps de fabrication (préparation, tournage, post-production) afin de compenser l’augmentation globale de la masse salariale.
- Parce qu’elle compresse encore davantage qu’auparavant les rémunérations ou les temps de travail de ceux qu’elle ne protège pas : les scénaristes, ou de ceux qu’elle protège mal : les monteurs.
- Parce qu’elle remet en cause l’existence d’un grand nombre de films (40% de tournage en moins sur janvier et février 2014 par rapport aux années précédentes), et donc aussi l’emploi de nombreux techniciens.
- Parce que l’addition des effets de seuil autour de 3,6 M€ (clause dérogatoire de la convention a 3,6 M€ + clause de diversité de Canal à 4 M€ + crédit d’impôt relevé pour les films de moins de 4 M€) produit une barrière presque infranchissable pour des films d’un coût de plus de 3,6 M€, dès lors que ce ne sont pas de purs films de marché, ou qu’ils ne sont pas réalisés par quelques cinéastes incontournables.
Ce constat, nous le partagions tous.
C’est la question plus spécifique d’une intervention auprès du Conseil d’Etat qui faisait débat entre nous, entre ceux qui étaient plutôt pour et ceux qui étaient plutôt contre.
Les « plutôt pour » plaidaient que c’était aujourd'hui le seul moyen de peser dans la négociation autour des films de moins de 1,25 M€ (la crainte que le Conseil d’Etat annule l’extension pouvant modifier la négociation à venir) et que, puisque c’était le dernier recours possible contre une convention absolument nécessaire mais mal adaptée, en l'état, à la création cinématographique, nous devions tenter cette dernière possibilité d’annulation de l’extension et de reprise des négociations.
Les « plutôt contre » argumentaient que cela allait rouvrir les tensions entre réalisateurs et techniciens (certains réalisateurs et certains techniciens), alors même que nous n’avions de cesse depuis des mois de retisser des liens avec eux, notamment en se battant ensemble pour de meilleures sources de financement.
Face à l’importance de la décision, nous avons décidé de porter le débat devant une assemblée beaucoup plus large de réalisateurs et de nous en ouvrir aux adhérents présents lors de la réunion ouverte au Point Ephémère le 5 mars.
L’échange, qui eut lieu entre 60 ou 70 réalisateurs, fut riche et passionnant.
Après une discussion de plus de trois heures, il se dégagea qu’une large majorité, toutes générations confondues, était clairement pour déposer un recours, tandis qu’une petite minorité était contre et qu’une minorité conséquente restait indécise.
Fort de cela, nous avons décidé dès le lendemain de prendre conseil auprès d’une avocate spécialiste en droit du travail afin de mieux comprendre les tenants et les aboutissants du recours potentiel.
Il en est ressorti que, dans l'hypothèse où nous déciderions d'agir :
1. Nous n’avions plus que quelques jours pour le déposer.
2. Que c’était en tant que SRF que nous agissions, ce que nos statuts nous permettent de faire, dans une parfaite étanchéité avec la CFDT dont nous ne sommes pas membres.
3. Que cette « intervention volontaire » parce qu’elle vient en appui de la « requête » déposée par la CFDT en septembre dernier, ne pouvait que s’appuyer sur leur argumentaire : soit, d’une part, le caractère illégitime de la procédure de signature de la convention ; et d’autre part, la non-représentativité de l’API.
Quelques mots à propos de la non-représentativité de l’API :
Il faut se souvenir qu’au 1° juillet 2013, date où le gouvernement a décidé d’étendre l’application de la convention au 1° octobre, seul l’API (syndicat constitué exclusivement des 4 groupes : Gaumont, Pathé, UGC, MK2) avait signé la convention en tant que producteurs, tous les autres syndicats de producteurs refusant de la signer en l’état. (Le SPI, l’APC et l’UPF n’ont signé le texte étendu qu’à la veille de son application le 1° octobre, après d’ultimes négociations.)
Or les 4 groupes de l’API, dont le coeur de l'activité est aujourd'hui la distribution et l'exploitation en salles, ne produisent que 1% de la production annuelle, employant environ 5% des salariés du secteur. Ce qui est bien peu pour qu’ils puisent être considérés comme représentatif de l’ensemble des producteurs dans une négociation aussi importante pour le secteur tout entier.
Cette question de la non-représentativité de l’API est décisive, car cela change beaucoup de choses selon que cette représentativité est validée par le Conseil d’Etat, faisant potentiellement jurisprudence pour des négociations à venir (à propos de la convention collective mais aussi dans les autres négociations inter professionnelles : Canal +, TV, etc…) ; ou selon que cette représentativité est invalidée par le Conseil d’Etat, l’API n’étant plus alors habilité à signer seul une négociation dans l’avenir.
4. La requête a pour seul objet l’annulation de l’extension de la convention collective par le gouvernement au 1° juillet 2013.
Si le Conseil d’Etat juge sur le fond que cette requête est justifiée, il annulera donc l’arrêté d’extension, reconnaitra que l’API n’est pas représentatif, à lui seul, et obligera de facto tout le monde à se remettre autour de la table pour une nouvelle signature. Mais pour la première fois, il sera devenu impératif qu’un autre syndicat de producteurs s’associe à l’API pour signer. Cela peut donc, potentiellement, redonner de la marge de négociations pour aboutir à une convention mieux adaptée à tous.
Prenant enfin la mesure de l’intégralité des enjeux et les intérêts à agir qui dépassent le strict cadre de cette convention, nous avons décidé de nous associer à ce recours.
Et d’affirmer ainsi notre fidélité à une certaine idée du cinéma. Celle d’un cinéma libre, audacieux, singulier, mais qui est malmené depuis des années, mal exposé dans les salles par les grands groupes d’exploitation et sous-financé de par les dérives du système.
Le vendredi 14 mars au matin, nous avons donc déposé, au nom de la SRF, une « intervention volontaire » auprès du Conseil d’Etat, en soutien à « la requête » de la CFDT, « contre l’arrêté du 1° juillet 2013 par lequel le ministre du travail a étendu la convention collective de la production cinématographique ».
Nous sommes impatients d’avoir vos réactions et vous engageons à nous écrire. Notes, témoignages, récits, nous publierons le plus grand nombre de textes possibles sur le nouveau site de l’association.
Bien amicalement,
Le Conseil d’Administration de la SRF.
Stéphane Brizé, Laurent Cantet, Malik Chibane, Catherine Corsini, Nicolas Engel, Frédéric Farrucci, Pascale Ferran, Robert Guédiguian, Agnès Jaoui, Cédric Klapisch, Helena Klotz, Sébastien Lifshitz, Katell Quillévéré, Christophe Ruggia, Pierre Salvadori, Céline Sciamma