Débat autour de la convention collective du cinéma

Dépêche
28/03/2014

Suite à notre mail du 23 mars dernier, nous avons reçu plusieurs réponses.
Vous trouverez ci-après l'intégralité des échanges :

Fausse route

Nous venons de prendre connaissance de la “requête en intervention volontaire“ déposée par la Société des Réalisateurs de Films (SRF) devant le Conseil d’État, en soutien de celle déposée par la CFDT, demandant l'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2013 par lequel le ministre du Travail a étendu la toute nouvelle convention collective du cinéma.

Nous voulons dire à celles et ceux qui font les films à nos côtés, nos fidèles équipiers, techniciens, comédiens et ouvriers, que nous ne nous sentons en aucune manière solidaires de cette triste initiative.

Rappelons que cette convention est un compromis résultant de sept années de négociation et qu’elle fut finalement signée par l’ensemble des  organisations syndicales, à l’exception de la CFDT, et par tous les syndicats de producteurs le 8 octobre 2013 sous l’égide du Centre National de la Cinématographie.

C’est à la demande pressante des producteurs et des nouveaux élus de la SRF que les films de fiction dont le budget est inférieur à 1,22 M€ ont été sortis du champ d’application de la nouvelle convention collective. Et ce sont ces mêmes films – notoirement sous exposés et sous financés – qui deviennent aujourd’hui le prétexte d’une remise en cause globale de la même Convention. Quelle ironie !

C’est tous unis que nous devrions nous battre pour que tous les films, sans exception, soient correctement exposés et financés.

C’est dans “l’esprit de mai“ que la SRF s’est crée en 1968. Un esprit de liberté, de lutte, de solidarité et d’ouverture. Où, dans le cinéma comme dans le reste du monde, chacun à sa place participe d’une même conquête, pour plus de justice et plus de liberté, dans le travail comme dans la vie. Où les droits des créateurs ne sont pas opposables au droit du travail. C’est à cette tradition là que nous restons fidèles.

Mesdames et Messieurs du conseil d’administration de la SRF, vous faites fausse route. 

Premiers signataires : Michel Andrieu, Stéphane Arnoux, Alima Arouali, Myriam Aziza, Luc Beraud, Bernard Blancan, Dominique Cabrera, Pascal Cling, Jacques Deschamps, Pascal Deux, Jean-Pierre Duret, Nadia El Fani, Anne Galland, Marine Franssen, Fabrice Genestal, Pierre William Glenn, Eric Guirado, Alain Guiraudie, Jean Lassave, Luc Leclerc du Sablon, Jacques Maillot, Mariana Otero, Gilles Perret, Gilles Porte, Olivier Pousset, Stéphane Ragot, Chantal Richard, Christian Rouaud, Arnaud Soulier, Jean-Pierre Thorn, Philippe Van Leeuw, Vanina Vignal...

 

- Réponse de Yann Gonzalez à Fausse Route :
26 mars 2014

Bonjour à tous,

Je ne comprends pas votre message ni votre attitude. A quoi rime cette tournure démagogique : "nos fidèles équipiers, techniciens, etc." ? Vous insinuez donc que, contrairement à vous, nous n'avons aucun respect pour les gens qui nous accompagnent et qui travaillent à nos côtés ? Je fais partie de ces réalisateurs qui ont tourné leur premier long métrage avec un budget de moins d'1,2 d'Euros. Sans les efforts de toute notre équipe (productrice, comédiens et moi compris), ce film n'aurait jamais vu le jour. Quand vous écrivez que nos films sont "notoirement sous exposés et sous financés", cela me blesse et me choque, car vous semblez sous-entendre que de tels films, puisqu'il n'ont pas trouvé complètement leur place sur le marché, ne devraient tout simplement pas exister.

Malgré les difficultés, mon tournage fut une expérience magnifique, joyeuse, solaire. J'ai travaillé avec beaucoup de gens de mon âge, des techniciens de 30 / 35 ans qui se sont retrouvés pour la première fois chefs de poste et pour qui ce film a été l'opportunité de démontrer leur talent, leur personnalité. Mais c'est moi le premier qui sait ce que je leur dois : tout ! Et j'ose espérer que mon prochain long sera bien mieux financé afin que leur travail soit enfin rémunéré à sa juste valeur.

J'aimerais penser, comme vous, que nous réussirons un jour à rééquilibrer le financement des films français. Et que les dizaines de longs métrages fragiles aujourd'hui deviendront plus forts demain. Je suis prêt à me battre pour cela, et je suis d'accord avec vous sur ce point : plus nous serons soudés, plus nous serons efficaces. Mais ne rêvons pas : pensez-vous sincèrement que France 2 ou Canal Plus vont investir davantage sur des premiers ou deuxièmes films qui ne rentrent pas dans leurs "cases" alors que leurs critères se durcissent davantage chaque année ? Croyez-vous que notre gouvernement si peu audacieux en terme de culture va tout à coup renverser la vapeur ? Et quelles solutions concrètes proposez-vous pour que l'on sorte de cette impasse ? Soyons malgré tout optimistes et imaginons que dans quelques années, nous parvenions à imposer, tous ensemble, des mesures pour mieux soutenir les projets les plus démunis : combien de ces films seront sacrifiés dans l'intervalle ? Je ne peux me résoudre à ce qu'un seul de mes camarades ne puisse pas réaliser son film parce que la convention collective aura été appliquée.

Alain Guiraudie, je m'adresse à toi car tu es le seul que je connais personnellement dans cette liste et tu sais combien j'admire ton travail : est-ce que tu serais signataire aujourd'hui si tu n'avais pas encore tourné ton premier long métrage ? Tu es désormais en position de force avec le beau succès de "L'inconnu du lac", mais pense un peu à la génération suivante, à ceux qui n'ont pas encore pris leur envol et qui ne le prendront peut-être jamais parce que la convention sera appliquée à l'ensemble des productions françaises...

J'ai l'impression qu'en vous opposant à la démarche de la SRF, vous cautionnez tous la mise à mort d'une génération de cinéastes français. Une génération encore peu visible, occupée à à tourner des courts métrages ou à imaginer un premier long. Une génération pleine d'ardeur, de désirs, de rêves singuliers et irremplaçables. Ne pensez-vous pas que notre cinéma est déjà suffisamment conformiste ? Et que la vitalité de ces premiers films fragiles participe aussi de cette diversité à laquelle nous tenons tous ?

Nous ne souhaitons faire la guerre à personne. Mais est-ce vraiment votre cas ?

Bien respectueusement,

Yann Gonzalez (scénariste, réalisateur)

 

- Réponse de Sam Karmann à Fausse Route :
27 mars 2014

Bonjour,

Suite au texte "Fausse route" envoyée par un collectif "cine.infos2013" je me permets d'adresser au CA de la SRF la réponse que j'ai faite, dans un premier temps de façon personnelle, à plusieurs signataires que je connais et apprécie. Pour des raisons que vous comprendrez je livre ici ma réponse en supprimant leurs noms.

Cher X, cher Y...

Non je ne signerai pas ce texte et je vous dirai même que ce texte me rend triste quand je vois vos noms en bas de liste des signataires, en raison de l'affection et de l'admiration que j'ai pour vous et votre travail.

Car même si sur ce dossier nous ne partageons pas le même point de vue, je ne comprends pas les raisons qui vous ont poussés à co-signer ce texte.
Dans cette période ô combien difficile pour nous tous, cette "Fausse Route" est plus qu'une simple réponse à une action qui réunit plus de 350 réalisateurs.
C'est un manifeste de division qui nous affaiblit collectivement un peu plus, alors que nous devrions tous amoureux de nos métiers, comme nous entremêlons nos divers talents, être unis pour constater que cette Convention est non seulement hypocrite, mais nocive. Et qu'il n'y a qu'une façon de la corriger: la requête auprès du Conseil d'Etat pour vice de procédure.

J'ai rejoins la SRF il y a moins d'un an, ce fameux jour que d'aucun ont appelé "putsch".  J'ai donc chercher à comprendre les enjeux. Je me suis documenté, j'ai questionné, j'ai appris du fonctionnement des uns et des autres, j'ai assisté à nombre de réunions. Je voulais me faire une opinion sur cet accord, persuadé qu'une convention collective était indispensable tant les abus salariaux sur les équipes (techniques et artistiques puisque j'ai la chance de connaître les deux aspects) et les sous-financements sont patents.

Cette opinion est maintenant claire: cette convention collective en plus d'avoir été signée dans des conditions discutables en droit (l'objet de ce recours, j'y reviendrai) est mauvaise pour nous tous.

Ce n'est pas encore une fois parce que le constat est juste que cette convention permet à notre profession de reprendre des forces, bien au contraire.
Tous les retours des réalisateurs (jeunes ou vieux) en tournage depuis le 1er octobre dernier sont unanimes: quelque chose s'est crispé, s'est tendu depuis que cette convention est appliquée.
Elle n'a réussi qu'à opposer, isoler même, les réalisateurs de leurs équipes, ce qui est la pire chose qui soit, quand on connaît l'indispensable cohésion d'une équipe pour faire un film.
Les producteurs font le dos rond -tant qu'il y aura un dir de prod et un 1er ass pour les remplacer- et entrer dans le champ (parfois même pendant le plan) pour dire d'un air contrit: "Désolé mais il est 18h et on ne peut pas aller plus loin aujourd'hui" comme à la grande époque de la SFP (que tu as connue, X) quand le groupman débranchait le câble... Le cinéma à l'heure de la télé.

Revenons sur le fond de ce texte:

"Rappelons que cette convention est un compromis résultant de sept années

de négociation et qu’elle fut finalement signée par l’ensemble des
organisations syndicales, à l’exception de la CFDT, et par tous les
syndicats de producteurs le 8 octobre 2013 sous l’égide du Centre National
de la Cinématographie"

FAUX: cette convention n'a été signée côté producteurs que par l'API (moins de 5% des films produits bien qu'absorbant 60% du financement), les autres syndicats, ceux des producteurs indépendants ayant fait (je vous l'accorde) la sourde oreille, préférant la politique de la chaise vide. Ce n'est pas parce que certains manquent de courage, que d'autres doivent passer en force, ou plutôt en douce.
Donc NON, cette convention n'a pas été signée par l’ensemble des organisations syndicales. Tout l'objet du recours est là.

"C’est à la demande pressante des producteurs et des nouveaux élus de la
SRF que les films de fiction dont le budget est inférieur à 1,22 M€ ont
été sortis du champ d’application de la nouvelle convention collective. Et
ce sont ces mêmes films – notoirement sous exposés et sous financés – qui
deviennent aujourd’hui le prétexte d’une remise en cause globale de la
même Convention. Quelle ironie !"

L'ironie c'est de laisser penser que d'avoir laissé les films inférieurs à 1,22M€ hors du champ de la convention suffisait pour justifier la-dite convention!!
Alors qu'on sait que c'est dorénavant une fuite en avant des producteurs d'entraîner les réalisateurs dans des budgets inférieurs à 3,6M€ pour en limiter les effets, avec les conséquences artistiques que ça entraîne. Le choix devient simple: faire des films "du marché" (travailler avec Dany Boon, sans aucun mépris) dans la convention, ou faire des films "considérés comme hors marché" (les nôtres le plus souvent, ceux qui rêvent de faire 500.000 entrées) et qui seront plafonnés à 3,6M€. Sans séquence de nuit bien entendu. Ou alors tourner impérativement l'hiver. A l'époque où le numérique nous permet justement de faire des images exceptionnelles dans la plus grande légèreté technique, cette convention l'en empêche.
Nous allons donc tous écrire des scenarii qui se passent le jour, entre avril et octobre.

L'autre réalité est que (les exemples sont nombreux) les techniciens sont obligés de signer des décharges auprès du dir de prod.
Exemple: 4 semaines de prépa pour une chef costumière alors qu'on sait bien qu'elle en a besoin de 6 minimum. Mais à 3,6M€ de budget total, t'as pas le choix.
Obligée de signer comme quoi elle ne travaille que 4 semaines... de 39 heures bien sûr. Quelle hypocrisie. Alors que bien sûr elle travaille 8 semaines (sans compter son travail préalable de recherche etc)  à 60  plutôt qu'à 39 heures/semaine. Mais que se passera-t-il si, épuisée à la fin de la semaine, elle a un accident de voiture avec ses costumes dans le coffre...?
Le dir de prod lui sortira sa décharge. Circulez.

En prépa, chacun est obligé de tricher sur le nombre d'heures travaillées, à  tous les postes. Les exemples sont pléthore.

Cette convention n'a pas tenu compte de la spécificité dans bien des endroits. Qu'on protège les ouvriers et les techniciens, bien sûr. Mais il faudrait aussi séparer les différentes étapes: préparation, tournage, post-production, on sait bien que ces étapes ne requièrent pas les mêmes besoins en terme d'horaires, de coût, de grilles..

Encore une fois, je ne tiens pas à refaire le débat avec vous sur cette convention, mais notons qu'après 6 mois d'existence, nous somme déjà à -25% de films en tournage par rapport à l'an dernier sur la même période. C'est un fait.

"C’est tous unis que nous devrions nous battre pour que tous les films, sans
exception, soient correctement exposés et financés."

Voeux pieu. Mais la réalité est qu'il faut entendre à travers cette phrase ce qu'elle veut dire: soit tu finances ton film correctement et tu appliques la convention, soit tu ne fais pas ton film. Et là je vois les producteurs-distributeurs des groupes (API) se frotter les mains: "Moins de ces petits films qui encombrent nos écrans et nous empêchent de surexploiter nos gros en multi-écrans"...

Pour conclure, cette convention n'est une victoire pour personne, il n'y a de bonne convention collective que celle qui réunit tous les participants de la chaîne d'un film.
Celle-ci les divise et place le réalisateur, autre ironie, celui qui rêve et entraîne une équipe, dans le rôle du casseur des droits sociaux, avec ses heures de nuit et ses heures sup.
Il faudra tôt ou tard revenir sur ce texte, et à ce jour, le seul moyen était de l'attaquer pour vice de forme, car vice de forme il y a eu.
Et que c'est la seule méthode (si le Conseil d'Etat donne raison à cette demande) pour réouvrir le débat.

Pour conclure, je ne sais qui de la SRF ou de ce collectif fait fausse route, ce dont je suis certain, c'est que cette lettre va diviser un peu plus, le contraire de ce dont nous avons besoin.
Je vous embrasse bien plus que confraternellement, avec amitié.

Sam

 

- Réponse de Alain Guiraudie à Yann Gonzalez :
2 avril 2014

Bonjour Yann, bonjour tout le monde,
 
J’ai bien lu ton mail que tu as renvoyé à Ciné Infos et à la SRF. Tu m’interpelles directement. Voici ma réponse.
 
Évidemment, je me doutais que ça allait arriver. Je me doutais bien que ça trottait dans certains esprits, cette coïncidence entre mon soutien à la convention et le succès de L’INCONNU DU LAC.
 
1) Oui, j’aurais approuvé la convention avant mon premier long métrage, d’autant plus qu’avant mon premier long, j’étais aussi régisseur adjoint.
 
2) Je ne me sens absolument pas en position de force, c’est sans doute mieux aujourd’hui pour moi mais je ne pense pas en avoir fini avec les problèmes de budget (en finit-on jamais avec ça ?).
Et rassure toi, on ne soutient pas la convention collective juste pour emmerder la jeunesse.
 
J’ai pas mal réfléchi à cette histoire de convention, coincé entre des préoccupations que j’ai eues comme technicien et des problèmes auxquels je me suis heurté en tant que réalisateur. J’ai fait des courts-métrages sans salaires, des longs payés sous le tarif syndical. Donc c’était pas non plus évident pour moi cette histoire.
 
Aujourd’hui on veut bien de nos films à condition qu’ils se fassent pour pas cher. Si on veut tant de la diversité, de la nouveauté, de l’audace, il faut la financer à hauteur de ce qu’elle coûte. C’est en s’en donnant les moyens qu’on gardera un cinéma fort. Pas en colmatant les brèches ou en ramassant les miettes. Je ne vois aucune raison à ce que cette diversité se paye sur le dos des techniciens (ou même des réalisateurs).
 
Depuis les années 90, je vois les budgets de beaucoup de nos films se boucler en rognant sur les salaires. Je vois même des longs métrages se faire sans salaire du tout. Sur certains films, il n’y a guère que les électriciens et les machinistes, de par leurs exigences et la trouille qu’en ont les directeurs de productions, qui font que la journée de travail ne dure pas 24 H.
Non seulement, ça ne donne pas nécessairement de bons films, ça peut même donner des films très académiques, car la précarité n’est pas un gage de qualité... Mais surtout, je ne sens aucune perspective d’amélioration. Bien au contraire. Je parle du cinéma, je parle aussi du fonctionnement du monde en général.
 
Depuis trente ans on aménage le système capitaliste en préservant l’économie de marché, la loi du plus fort tout en essayant dans le même temps de ne pas trop faire mal aux pauvres. Charité oblige. Une précarité s’est installée qui permet à chacun de grappiller des miettes par ci par là, qui permet à chacun de croire en sa chance. Un fragile équilibre aurait soit disant été trouvé dans nos démocraties occidentales entre la liberté d’entreprendre et la solidarité envers les plus pauvres. Y compris dans le cinéma français.
Mais il n’y a aucun équilibre de trouvé.
 
On réduit les salaires, on réduit le personnel, on réduit les temps de tournage. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable de continuer comme ça. Des films de plus en plus pauvres d’un côté, des films de plus en plus riches de l’autre.
 
Il me semble très important de rappeler qu’un film, comme toute production (voiture, pain, poireau, etc), c'est avant tout du travail. Aussi ça me semble normal que les salaires représentent une grande part du coût d’un film.
Dans le cinéma français, on échappe aux 35 heures. Tout le monde accepte que la journée de travail fasse dix heures, que les CDD soient renouvelables ad vitam aeternam. On peut virer n’importe qui du jour au lendemain. On peut appeler un mec à dix heures du soir pour venir bosser le lendemain (et il est là). Les gens viennent travailler même malades. Le technicien de cinéma est taillable et corvéable à merci Il le sent moins passer parce qu’il aime ça. On constitue un corps de métier hyper souple Un vrai petit laboratoire pour le capitalisme. Alors la moindre des choses, c’est que les salaires soient à la hauteur.
 
L’offensive contre la convention collective participe pour moi d’une offensive généralisée contre la valeur du travail.
Du Medef au Parti Socialiste, sur tout le front libéral, on n’entend que ça : « Le travail coûte trop cher ». C’est pas les loyers, les bagnoles ou les actionnaires qui coûtent trop cher. Non, on nous dit que c’est le travail.
 
On cherche à « libérer le travail ». On veut nous faire entrer dans l’ère de la négociation individuelle, de l’accord de gré à gré contre la réglementation collective. Que chacun se démerde avec ses propres moyens. La concurrence comme moteur du monde. Je ne vois ce qu’on a à gagner socialement avec ça (ni artistiquement d’ailleurs). Je reste favorable à une société qui partage les richesses, les risques et les chances.
 
Enfin, je trouve très prétentieux de penser que parce qu’on fait de l’art (ou parce qu’on croit en faire) on devrait faire passer sa condition « d’artiste » avant tout. Comme le dit le texte que j’ai signé : « les droits des créateurs ne sont
pas opposables au droit du travail ».
 
Une convention collective a été signée. Face à ça, on a deux solutions :
 
On peut se lamenter, se demander comment on va faire une fois que ça sera plus comme on a l’habitude que ça soit. À ce compte-là, on n’aurait jamais rien fait. Je me doute qu’en 36, lorsque les congés payés ont été adoptés, non seulement des petits artisans ont dû être inquiets mais même certains ouvriers ont dû se dire que plus personne n’allaient vouloir les embaucher dans ces conditions.
 
On peut aussi envisager les choses d’une façon plus politique. Considérer qu’un accord collectif nous oblige à faire des choix. Doit-on laisser le marché imposer ses critères ou est-ce qu’on essaie de reprendre tout ça en main ? On a deux gros leviers pour ça : Le CNC et le service public audiovisuel.
Sur les films à 1millions, il manque combien pour payer les salaires correctement ? 100 200 000 euros. Le CNC en brasse 750 millions par an. Avec un minimum de volonté on pourrait initier une politique de redistribution des richesses vers le cinéma qui ne trouve pas sa place dans les financements télés. C’est d’ailleurs pour ça que le CNC a été créé à l’origine Et sous un gouvernement de droite.
Quant à l’audiovisuel public, tu as bien raison, les télés ne vont pas aller d’elles mêmes vers des films « difficiles ». D’ailleurs rien n’a jamais coulé de source. Pourquoi Canal + est soumis à une clause de diversité et pas le service public ? Et pourquoi le service public ne retrouverait-il pas sa mission première qui est de donner à voir des programmes différents ?
 
Tout ça découle de choix politiques, ça ne tombe pas et ça n’est jamais tombé du ciel.
 
Voilà, j’ai choisi mon camp. Ça s’appelle comme ça. Et pour répondre à ta première réflexion au sujet de notre phrase soi disant démagogique « nos fidèles équipiers, techniciens », je pense, effectivement, qu’on a eu raison de nous désolidariser du CA de la SRF avec ce texte.
 
Quand tu écris que « vous ne cherchez pas la guerre », je me demande ce qu’il te faut.
Lors de la dernière assemblée générale de la SRF, à grand renfort d’adhésion de dernière minute, vous avez élu un CA ayant pour seul projet la lutte contre la convention collective
Et maintenant, ce recours auprès du Conseil d’État, alors que la convention est (que vous le vouliez ou non) signée par toutes les associations de producteurs et quasiment tous les syndicats de salariés (sauf la CFDT toujours dans les bons coups)
 
Tout ça ne me donne pas l’impression que vous cherchez la paix.
 
Alain Guiraudie
 
P.S. : Je viens de prendre connaissance du communiqué de 5 associations de techniciens en réponse au recours de la SRF contre la convention collective. Je le joins à ce mail et je t’en conseille vivement la lecture.

> Retrouvez en PDF le communiqué de 5 associations de techniciens et les compte-rendus des table-rondes des associations de techniciens autour de l’application de la Convention Collective Etendue des métiers du Cinéma.

 

- Réponse de Christophe Ruggia à Alain Guiraudie :
13 avril 2014

Cher Alain,

Merci pour ta lettre. Je ne sais pas si Yann Gonzales y répondra de son côté, mais
j'aimerais rebondir sur ta réponse et en profiter pour faire un point. Il y a eu tellement
de désinformation et d'incompréhensions depuis notre premier texte collectif, il y a un
an de cela, tellement de choses qui méritent d'être éclaircies et rectifiées, que je
t'avoue ne pas trop savoir par où commencer.

Peut-être en t'assurant que je n'ai évidemment aucun doute sur la sincérité de ton
engagement pour la convention collective API/ SNTPCT, et que je sais que tu aurais
tenu exactement le même discours avant le succès si mérité de L'inconnu du lac.

Malheureusement, au moment où nous avons découvert les dangers que la
Convention Collective API/ SNTPCT (et pas n'importe quelle convention) faisait peser
sur le cinéma d'auteur le plus novateur quel que soit la hauteur de son budget, l'état de
crispation dans lequel se trouvaient les syndicats de producteurs indépendants d'un
côté, et les syndicats et associations de techniciens de l'autre, étaient tel que nous
nʼavons pas été entendus. Il a suffit que la CGT dise que nous roulions pour les
producteurs et que nous ne voulions pas de convention collective pour que tout le
monde le croie. Et encore aujourd'hui, après tous les textes que nous avons produit,
nous n'avons visiblement toujours pas réussis à nous faire entendre, puisque tu écris
à Yann : "Vous avez élu un CA ayant pour seul projet la lutte contre la convention
collective". C'est doublement faux.

Nous avons toujours dit et écrit que nous étions pour une convention collective, mais
que la philosophie qui sous-tendait ce texte-ci, nous semblait dangereuse pour le
cinéma d'auteur. Elle a été d'ailleurs largement améliorée par la suite (disparition du
numérus clausus, retrait des films de moins de 1,250M€ de la CC, remontée du
plafond de la clause dérogatoire de 2,5M€ à 3,6M€…), en partie grâce à notre
engagement, juste avant la renégociation finale en septembre qui a entraîné la
signature des syndicats de producteurs indépendants. Par ailleurs, nous n'avons
jamais dit que nous trouvions que le « travail coûtait trop cher ». Mais nous pensons
que dire "à travail égal, salaire égal" ne peut pas fonctionner pour le cinéma, alors que
les budgets sont aussi invraisemblablement disparates, sauf à accepter la disparition
d'un grand nombre de films, donc de réalisateurs et de techniciens. Tu mʼaccorderas
que la nuance est d'importance.

Et pour ce qui est du CA élu sur un "seul projet", là, en toute amitié, je te trouve quand
même un peu gonflé. La plupart des membres du CA d'aujourd'hui ont été auparavant
co-président du BLOC, ou président de la SRF, ou dans le Club des treize, ou
impliqués d'une manière ou d'une autre depuis des années dans la défense de l'intérêt
collectif. Alors, on peut être d'accord ou pas avec nous sur certains points, mais du
côté de l'engagement, je ne crois sincèrement pas qu'on ait à recevoir de leçons de
personne. Contrairement à ce que tu écris, quand nous nous sommes engagés à la
SRF l'année dernière, nous savions précisément ce que ça voulait dire, à la fois en
terme de responsabilités et de poids de travail. D'autant que la période qui s'ouvre est
particulièrement périlleuse.

Dʼabord parce quʼil faut absolument obtenir de meilleurs financements pour le cinéma
dʼauteur et que nous nʼavons eu de cesse depuis juin dernier de nous y employer. Si
nous ne nous étions pas battus pour obtenir le groupe réalisateurs/techniciens/
producteurs au CNC, celui-ci nʼaurait jamais existé et leurs propositions ne seraient
pas étudiées au sein de la concertation qui a lieu en ce moment au CNC autour du
Rapport Bonnell.
Ensuite, parce que lʼindustrie du cinéma français est en train de changer de modèle
économique, et de passer d'un financement qui repose en grande partie sur les
télévisions, Canal Plus en tête, à un financement qui repose en partie sur Internet et le
non-linéaire. C'est justement conscient de tous ces défis que nous avons décidé de
nous engager collectivement. Pour que cette fois, à la différence des discussions sur
la CCC, nous puissions participer au débat et être une force de propositions.

Je ne vais pas reprendre ta lettre à la lettre, je suis d'accord avec la plupart des
choses que tu dis sur l'état de la société, tout comme sur celui de nos métiers. Là où
nos analyses diffèrent fortement, c'est sur deux points essentiels.

Tu dis :"Si on veut tant de la diversité, de la nouveauté, de lʼaudace, il faut la financer
à hauteur de ce quʼelle coûte."

Je suis d'accord avec toi sur le constat, mais je suis sincèrement étonné que tu
puisses croire que ceux qui ont écrit et négocié la CCC, c'est à dire d'un côté l'API
(GAUMONT, PATHÉ, UGC, MK2) et de l'autre le SNTPCT, aient en tête de
sauvegarder la diversité. C'est bien mal les connaître. Le SNTPCT ne se cache pas de
vouloir la disparition de nombre de films. Pour Stéphane Pozderec, son délégué
général, un film qui n'est pas suffisamment désiré par le "marché", et donc
correctement financé par lui, n'a pas vocation à exister. Le mot préféré de Pozderec
est « professionnalisation », et la CCC, une manière de revenir aux bonnes vieilles
cartes professionnelles. Personnellement, je trouve cette position réactionnaire, et elle
me choque. Cʼest quand même drôle que personne ne semble noter que ce mot
«professionnalisation» est le même quʼemploie le MEDEF depuis 2003 pour nous
expliquer pourquoi il faut « resserrer » les annexes 8 et 10 autour des vrais
professionnels. Cʼest vraiment sur eux que tu comptes pour sauvegarder « la diversité,
la nouveauté et lʼaudace » ? Les 4 groupes dʼexploitation et le SNTPCT ?
Sérieusement, Alain ? Alors, tu prends le pari que « l'industrie » veut de ces films. Je
suis malheureusement plus pessimiste que toi. Je crois au contraire quʼils veulent
quʼune large partie de ces films disparaissent. Et avec eux ceux qui les font,
réalisateurs comme techniciens.

Le deuxième point qui est corollaire du premier, c'est quand tu dis qu'on a deux gros
leviers, en lʼoccurrence le CNC et les chaînes publiques. Si tu étais avec nous autour
de la table au CNC, dans la concertation sur le sous-financement du cinéma et les
problèmes de concentration de l'exploitation, tu t'apercevrais que ces deux leviers ne
risquent pas de monter bien hauts. D'abord, parce que les chaînes de télévisions,
services publiques comprises, ne veulent pas entendre parler dʼune hausse de leurs
obligations et que comme leurs chiffres dʼaffaires baissent (à cause de la pub), le
montant de leurs investissements baisse dʼautant. Et pour ce qui est du CNC, on se
bat comme des beaux diables mais cʼest loin dʼêtre gagné. Dès le départ, ils nous ont
dit que le CNC nʼenvisageait pas de "mettre de l'argent sur la table". Et que la plupart
des discussions serait à « enveloppe fermée » (même si on va se battre jusqu'au bout
pour que ce ne soit pas le cas). Ce qui veut dire que le surcoût des films va se faire au
détriment d'autres films, entraînant mécaniquement la disparition d'un certain nombre
de réalisateurs, de producteurs et de techniciens.
Et quand on se bat pour une meilleure répartition des financements, et une meilleure
exposition des films en salle, ce qui serait de loin la meilleure hypothèse, qui crois-tu
qui est le plus violemment contre toutes propositions qui iraient dans ce sens ? LʼAPI
bien sûr, qui ne veut lâcher sur rien.

Autrement dit : dire que le surcoût apporté par la convention va être pris en charge par
les financiers à nombre de films égal, est soit un leurre, soit un mensonge, selon ce
que l'on sait, ou ce que l'on ne sait pas. La réalité est que l'industrie est massivement
en train de se restructurer autour de beaucoup moins de films mieux financés et que la
CCC participe largement de ce mouvement. (A cet égard, les chiffres de la FICAM, les
industries techniques, indiquant une baisse de 40% des films sur le premier trimestre
2014 par rapport aux trois années précédentes fait froid dans le dos. Même si lʼon peut
espérer que cela ne soit que conjoncturelle et que cette baisse se calme dans les mois
qui viennent).

Si, en juillet, quand va être rediscutée la question des films à moins de 1,250M€, ces
films sont finalement rattachés à la CCC, alors la plupart de ces films nʼarriveront plus
à exister.
Comme par hasard, une des propositions phares du - par ailleurs très intéressant -
rapport Bonnell est de proposer que les films "fragiles" puissent sortir directement en
VOD, sans passer par la salle, et pour les inciter à le faire, qu'ils puissent bénéficier du
soutien cinéma. Ce ne seraient donc plus des films de cinéma, mais des webfilms
(comme il y a des téléfilms). Cʼest une des propositions contre laquelle on se bat au
sein du groupe "Distribution/Exploitation", dans lequel je me trouve avec Pascale
Ferran, proposition qui est bien évidement défendue par l'API. Difficile de ne pas voir
ici la cohérence de leur projet.
Et pour que tu mesures le mépris qui sous-tend tout ça, je te citerai juste ce quʼà dit le
délégué général du SPIAC-CGT à Katell Quillévéré quand nous avons été les voir,
Katell, Héléna Klotz et moi, pour discuter de la convention : « Ne tʼinquiète pas, hein…
Avec la convention, tu pourras toujours continuer de faire des films dans ton jardin
avec tes copains ». Cʼest te dire là où ils mettent la barre des « films de jardin » si
Suzanne en fait partie.

Tout cela me fait peur. Parce que les réponses apportées à la convention risquent
dʼêtre terribles, et dans un premier temps en termes dʼemploi : réduction importante du
nombre de films, mais aussi, pour certains films dʼauteur qui se feront malgré tout,
réduction des temps de préparation, de tournage, et de montage, ou réduction des
équipes, ou délocalisations accrues (même si la récente remontée du crédit dʼimpôt
pour les films à moins de 4 M€ endigue en partie ce risque).

Est-ce que tu penses que cʼest vraiment lʼintérêt des techniciens de ces films-là ? Et
de leur réalisateur ? Et des films eux-mêmes ? Et de leur qualité potentielle ?

Cela nʼenlève rien à la nécessité dʼune convention qui empêche les abus infernaux de
ces dernières années, mais tu ne trouves pas que ça vaut le coup de nuancer un peu
le propos ?

Car je ne peux mʼempêcher de poser la question : est-ce vraiment lʼintérêt de tous les
techniciens que la profession se resserre à ce point sur les plus installés dʼentre eux ?
Et sur les films les plus solubles avec le marché ?

Les techniciens considèrent-ils à ce point que les films sont interchangeables ? Et
quʼils auront le même plaisir à travailler sur un film bien financé par le marché mais qui
ne les intéresse pas beaucoup que sur un projet qui leur tient à coeur ? A tort ou à
raison, je ne le crois pas une seconde. Et je pense quʼil est impossible de délier la
question des acquis sociaux aux exigences artistiques du cinéma. A notre propre
cinéphilie. Personnellement, je nʼarrive pas à ne pas vouloir les deux. Je nʼy arrive
pas.

Enfin puisque tu renvoies au texte des associations de techniciens, paru sur le site de
l'AFC, je voudrais préciser qu'au sujet du recours, il présente de nouveau les choses
d'une manière biaisée. Encore une fois, on ne se bat pas « pour que la convention
nʼexiste pas ».

Si nous avons déposé ce recours, cʼest parce que nous n'acceptons pas que les 4
grands circuits décident unilatéralement pour tout le cinéma français. Et si le Conseil
d'État nous suivait, comme nous l'espérons, sur la non représentativité de l'API en tant
que producteurs, ce serait une grande victoire pour tous ceux qui se battent pour la
diversité du cinéma, réalisateurs et techniciens compris.

Quant à la convention, elle pourrait être signée à nouveau, dès le lendemain, par
toutes les organisations de producteurs et syndicats signataires du 1er octobre 2013
(qui ont signé ultérieurement à lʼextension par le Gouvernement au 1° juillet, et donc
ultérieurement à lʼobjet de la requête). Contrairement à ce que vous croyez, ou à ce
que la CGT aimerait vous faire croire, la convention n'est pas mise en danger par
notre action. Au mieux pourrait-on espérer que le fait de remettre le débat sur la table
permette une prise de conscience tardive et quelques améliorations de dernières
minutes, en particulier avant que reprennent les négociations qui vont avoir lieues sur
les films à moins de 1,250M€.... Mais là on est plutôt dans le domaine du rêve.

Par ailleurs, nous n'avons pas du tout formés une requête "avec l'appui" de la CFDT,
nous avons utilisé l'opportunité de leur propre recours déposé de longue date, pour
faire ce qu'on appelle une "intervention volontaire" et pouvoir développer nos propres
arguments, ce qu'on n'aurait pas pu faire autrement. Encore un faux débat à la con. En
fait, ce contact avec la CFDT a surtout été lʼoccasion de pouvoir rencontrer les
négociateurs de la Confédération sur les annexes 8 et 10 des intermittents et leur dire
avec clarté ce que nous pensions du très mauvais texte quʼils avaient signé. Nous
saurons assez rapidement si nous avons été entendus à ce propos, entre autres sur le
problème du « décalage » ou délai de carence.

Le combat que nous menons n'est en aucune manière tourné contre les techniciens,et ça me déchire le ventre que toi et beaucoup de mes amis puissiez penser ça. Il est comme toujours contre l'éternelle tentation des acteurs les plus puissants de l'industrie du cinéma (et de certaines télévisions qui la finance) de ne plus faire que des "produits d'appel" pour vendre de l'audience, du coca-cola ou des pop-corns. Le fameux "temps de cerveau disponible".

Pour conclure, j'ai envie de te dire, et de dire à tous ceux qui me liront, réalisateurs et
techniciens : arrêtons de nous faire des procès d'intention et de nous déchirer pour
des mauvaises raisons. La convention existe. Je crois que nous pouvons tomber
dʼaccord sur le fait quʼelle peut être améliorée, des deux côtés dʼailleurs (je pense par
exemple que le plancher minimal de 750€ + 30% de la clause dérogatoire est trop bas
pour les films de plus de 2 ou 2,5 M€). Ensemble on pourrait se battre pour ça,
comme on doit se battre pour un meilleur financement.

C'est seulement si nous sommes tous unis que nous pourrons peut-être enfin
sécuriser les annexes 8 et 10, et faire pression sur le ministère de la Culture et le CNC
pour qu'une vraie réforme du cinéma ait lieu, qui repose sur plus d'investissements
mais surtout sur une meilleure répartition des richesses existantes. Une vaste réforme
qui prenne aussi enfin en compte les problèmes cruciaux que pose la concentration de
la distribution et de l'exploitation sur la diversité du cinéma.

Sinon, le réveil risque d'être brutal.

Bien amicalement à toi,

Christophe Ruggia

Convention collective cinéma
SRF