Chaque année est publié un tableau dans Le Films Français censé déterminer la rentabilité des films de l’année écoulée sur la base de leur sortie salle.
On pourrait commencer par se demander au nom de quelle idée de la culture on « demande des comptes » au cinéma sans autre forme de procès. Ce tableau suscite pourtant des articles et commentaires qui ne font que propager des idées fausses. Il jette sur les films d’auteur l’image d’un cinéma qui coûterait trop cher et ne serait pas assez vu, celle d’un cinéma élitiste, gâté, voire inutile. Le classement est d’ailleurs à ce point ignorant de notre secteur qu’il oublie les documentaires et leurs nombreux succès. Ne seraient-ils pas des films comme les autres ?
Ce tableau est loin d’aborder la véritable question de la rentabilité d’un film, à savoir le comparatif entre l’ensemble des coûts engagés dans sa production avec l’ensemble des recettes sur les différents supports de son exploitation.
Un film qui marche, c’est bien sûr un film qui trouve son public, et nous sommes les premiers à nous en préoccuper. Mais il faut au moins cinq ans pour juger de la rentabilité d’un film.
La vie d’un film français est beaucoup plus riche et passionnante que les chiffres de quelques mois et d’un territoire unique. Comme si un film « honnête » avait le devoir et la responsabilité de rembourser la totalité de ses dépenses par ses seules entrées en salles, et de le faire immédiatement. Quid de ses passages à la télévision alors que celle-ci finance en grande partie le cinéma français ? Quid de sa présence à l’étranger alors que les vendeurs internationaux contribuent largement à nos budgets ? Car en plus d’engendrer des débats, des rencontres, de la presse dans son pays d’origine, un film qui marche est un film qui circule au-delà de la France, en festivals, en salles et en vidéo, faisant rayonner notre culture dans le monde.
Un film qui marche, c’est aussi un film qui traverse le temps, révélant des talents, s’inscrivant dans l’œuvre d’un.e cinéaste, continuant parfois de toucher un public plus de cinquante ans après sa fabrication.
Souvenons nous de La Règle du Jeu de Jean Renoir. Un échec en salle, et pourtant l'un des plus grands films jamais réalisés et reconnus par tous.
Un film qui marche, ce n’est donc pas seulement un film qui capitalise sur les recettes d’un moment précis – réflexe de satiété immédiate de notre société moderne – mais un film qui dure, qui hante, qui voyage et invente son propre rapport au spectateur et à l’histoire du cinéma.