Aux chefs d’État et de gouvernement des démocraties

Lettre ouverte
Lettre ouverte
09/11/2018

En 1980, Andreï Sakharov est exilé dans la ville fermée de Gorki pour avoir alerté le monde du danger que représentait l’URSS. Assigné à résidence et surveillé en permanence par le KGB, il est coupé du monde par le pouvoir soviétique durant plusieurs années, pendant lesquelles il effectuera deux grèves de la faim et sera torturé, intubé et nourri de force. Il faudra la perestroïka (restructuration) et la glasnost (transparence) en 1986, pour que Mikhaïl Gorbatchev mette fin à son exil et à son calvaire.

Cela n'empêche pas un autre dissident russe, Anatoli Martchenko, de mourir dans sa cellule la même année, le 8 décembre 1986, après onze ans d'emprisonnement et une grève de la faim de 117 jours. Son crime était d'avoir révélé dans un livre la réalité des camps de travail soviétiques. Il disait notamment : "La seule possibilité de lutter contre le mal et l'illégalité consiste à mon avis à connaître la vérité."

 

Cette vérité a fissuré puis fait tomber les murs. L’URSS a laissé place à la Russie, l’Ukraine, la Géorgie, les Républiques Baltes... Pourtant, c’est toujours pour les mêmes raisons que le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov a entamé une grève de la faim illimitée le 14 mai 2018 : Faire connaître la vérité, alerter le monde.

 

La vérité, c'est qu’au XXIe siècle, Oleg Sentsov, ce jeune cinéaste, auteur d'un premier film repéré par les grands Festivals européens de cinéma, père de deux enfants, a disparu le 10 mai 2014 alors qu’il sortait de chez lui, enlevé par les services secrets dans sa Crimée natale, ce morceau d'Ukraine que les Russes venaient brutalement d'annexer. La vérité, c’est qu’il a été battu et torturé, emprisonné en Russie et condamné un an plus tard à vingt ans de prison, à la suite d’un procès dénoncé comme « stalinien » par Amnesty International.

 

La vérité, c'est que près de soixante-dix autres Ukrainiens sont indûment détenus en Russie. La grande majorité d’entre eux viennent de Crimée, beaucoup sont Tatars, et ont été - comme Oleg Sentsov - enlevés et « nationalisés » de force pour pouvoir être condamnés et emprisonnés en Russie. Certains attendent toujours leur procès, les autres ont écopé de très lourdes peines de prison à "régime sévère" -, la plupart suite à des procès truqués, sur la foi de témoignage obtenus sous la torture. Des procès « pour l'exemple ».

 

Les cinéastes et les intellectuels ont beau se mobiliser dans le monde entier, y compris en Russie avec les risques que cela comporte, Vladimir Poutine reste inflexible. Il faut dire que depuis vingt ans, il aura eu tout le temps de mesurer les faiblesses et les lâchetés des démocraties, qui lui ont laissé les mains libres en Tchétchénie puis en Géorgie, en Crimée, en Syrie... Alors pourquoi reculerait-t-il si personne n’ose même le lui demander ?

 

Du fond de sa cellule, Oleg Sentsov a compris que les otages ukrainiens du Kremlin étaient seuls au monde. Il a alors décidé de reprendre son destin en main et n’ayant pour arme que son seul corps, de commencer une grève de la faim illimitée. Pour souligner un peu mieux encore la dimension politique de son action, il a demandé la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie, sans demander la sienne.

 

Mais la portée de son geste, d’un courage inouï, va bien au-delà, puisqu’il oblige l’Europe et plus largement le monde à ne pas oublier l’Ukraine, la Crimée, le Donbass.  Il nous alerte, comme l’avaient fait hier Martchenko et Sakharov à propos de l’URSS, sur les dangers que fait courir la Russie de Poutine à la démocratie et à ses valeurs : liberté, respect des peuples, paix...

 

Le Parlement européen ne s’y est pas trompé et, au citoyen d’honneur de la ville de Paris qu’Oleg Sentsov était déjà, il a décerné le 23 octobre dernier le Prix Sakharov, accompagné de la déclaration suivante : «Grâce à son courage et à sa détermination, et en mettant sa vie en danger, le réalisateur Oleg Sentsov est devenu un symbole de la lutte pour la libération des prisonniers politiques en Russie et dans le monde entier. En lui décernant le prix Sakharov, le Parlement européen lui exprime sa solidarité et soutient sa cause. Nous demandons sa libération immédiate. »

 

Nous attendons désormais que ce symbole fort qu’est le Prix Sakharov se traduise en actes politiques.

 

Demain, à l’invitation d’Emmanuel Macron, cent chefs d’État - dont Vladimir Poutine - seront réunis à Paris pour le centième anniversaire de l’armistice marquant la fin de la première guerre mondiale.

 

Alors que partout, les nationalismes reviennent en force, nous rappelant les heures les plus sombres du XXème siècle, nous exhortons les chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties à utiliser tous les moyens qui sont à leur disposition pour contraindre la Russie à respecter le droit international : réclamer une enquête au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, élargir les accords de Minsk pour permettre un échange de prisonniers dont Oleg Sentsov ferait partie, obtenir la condamnation de la Russie par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui s’est déjà reconnue compétente pour juger cette affaire.

Si aucune de ces voies n’aboutit, il sera temps de voter une loi au niveau de l’Union européenne permettant de sanctionner les responsables du sort d’Oleg Sentsov. Une telle loi existe déjà dans plusieurs pays (Etats-Unis, Estonie, Lituanie, Royaume Uni, Canada…) c’est la loi Magnitsky – ainsi nommée en hommage à l’une des victimes du système prédateur mis en place par Poutine. Il suffira que l’Europe l’adopte à son tour pour pouvoir sanctionner lourdement les bourreaux d’Oleg Sentsov et des autres otages ukrainiens.

 

Au 100e anniversaire de la fin de la première guerre mondiale, ce jour de paix entre les peuples, nous exhortons les chefs d'État et de gouvernement des démocraties à obtenir de Vladimir Poutine qu'il s’engage à libérer immédiatement et sans condition Oleg Sentsov et les autres prisonniers politiques ukrainiens.

 

Qu’il les laisse rentrer chez eux.

 

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Premiers signataires (vous pouvez les rejoindre ici)

 

Dominique Abel, cinéaste (Belgique)

Galia Ackerman, historienne (Russie)

Hala Alabdalla, cinéaste, (Syrie)

Darina Al Joundi, actrice, auteure (Syrie, Liban)

Anne Alvaro, comédienne

Marie Amachoukeli, cinéaste, co-présidente de la SRF

Mathieu Amalric, acteur et réalisateur

Jean-Pierre Améris, cinéaste

Arnold Antonin, cinéaste (Haïti)

Antoine Arjakovsky, historien.

Aïcha Arnaout, poète (Syrie)

Ariane Ascaride, comédienne

David Assouline, vice-président du Sénat

Yvan Attal, acteur et réalisateur

Jacques Audiard, cinéaste

Nabil Ayouch, cinéaste (France, Maroc)

Rakhshan Banietemad, cinéaste (Iran)

Xavier Beauvois, cinéaste

Lucas Belvaux, acteur et réalisateur

Caroline Benjo, productrice

Alain Besançon, historien, Membre de l’Institut

Julie Bertuccelli, cinéaste, présidente de la SCAM

Sophie Bessis, historienne (France, Tunisie)

Enki Bilal, dessinateur, cinéaste

Jane Birkin, actrice et chanteuse

Manuel Blanc, comédien

Alain Blum, historien et démographe 

Bertrand Bonello, cinéaste, co-président de la SRF

Bong Joon-ho, cinéaste (Corée du Sud)

Jérôme Bonnell, cinéaste

Sylvain Bourmeau, journaliste

Frédéric Boyer, écrivain, éditeur

Guillaume Brac, cinéaste

Geneviève Brisac, écrivain

Pascal Bruckner, philosophe et écrivain

Fanny Burdino, scénariste

Robin Campillo, cinéaste

Laurent Cantet, cinéaste

Leos Carax, cinéaste

Emmanuel Carrère, écrivain

Joël Chapron, spécialiste du cinéma russe

Chad Chenouga, acteur et réalisateur

Evan Clarry, cinéaste, Qld Chapter Head Australian Director's Guild (Australie)

Philippe Claudel, écrivain

François Cluzet, acteur

Clément Cogitore, cinéaste

Daniel Cohn-Bendit, homme politique

André Comte-Sponville, philosophe

Anne Consigny, comédienne

Antony Cordier, cinéaste

Catherine Corsini, cinéaste

Laurence Côte, comédienne

Cécile Coudriou, présidente d'Amnesty International France

François Croquette, ambassadeur pour les droits de l'Homme

Jean-Pierre Dardenne, cinéaste (Belgique)

Luc Dardenne, cinéaste (Belgique)

Marie Darrieussecq, écrivaine

Françoise Daucé, politiste

Émilie Deleuze, cinéaste

Christophe Deloire, journaliste, secrétaire général de Reporters Sans Frontières

Marianne Denicourt, comédienne

Marie Desplechin, écrivaine

Antoine Desrosières, cinéaste

Lav Diaz, cinéaste (Philippines)

Souleymane Bachir Diagne, philosophe (Sénégal)

Alice Diop, cinéaste

Mati Diop, cinéaste (France, Sénégal)

Samuel Doux, scénariste

Olivier Ducastel et Jacques Martineau, cinéastes

Atom Egoyan, cinéaste (Canada)

Michel Eltchaninoff, philosophe, fondateur des Nouveaux Dissidents

Carolin Emcke, écrivaine

Annie Ernaux, écrivaine

Amat Escalante, cinéaste (Mexique)

Abbas Fahdel, cinéaste (Irak)

Didier Fassin, anthropologue

Eric Fassin, sociologue, Université Paris 8

Philippe Faucon, cinéaste

Victor Fainberg, dissident soviétique (URSS, France)

Léa Fehner, cinéaste

Pascale Ferran, cinéaste

Jean-Marc Ferry, philosophe

Emmanuel Finkiel, cinéaste

Carole Fives, écrivain 

Stéphane Foenkinos, cinéaste

Marina Foïs, comédienne

Camille Fontaine, cinéaste

Dan Franck, écrivain

Denis Freyd, producteur

Harald Fried, cinéaste (Autriche)

William Friedkin, cinéaste (États-Unis)

Jean-Michel Frodon, journaliste, enseignant

Nicole Garcia, comédienne, cinéaste

Louis Garrel, acteur et réalisateur

François Gedigier, chef monteur

Sylvain George, cinéaste

Thomas Gilou, cinéaste

Christophe Girard, adjoint à la Maire de Paris, en charge de la Culture

Arlette Girardot, réalisatrice documentaire

Amos Gitai, cinéaste (Israël)

Raphaël Glucksmann, essayiste 

Agnès Godard, directrice de la photographie

Jean-Luc Godard, cinéaste

Fabienne Godet, cinéaste

Miguel Gomez, cinéaste (Portugal)

Yann Gonzalez, cinéaste

Thoniké Gordadzé, universitaire, ancien ministre pour l'intégration européenne de la République de Géorgie

Fiona Gordon, cinéaste (Canada, Australie, Belgique)

Alexandra Goujon, politiste

Romain Goupil, cinéaste

Anne-Marie Goussard, consul honoraire de Lituanie

Joana Hadjithomas, cinéaste (Liban)

Rachid Hami, cinéaste

Michel Hazanavicius, cinéaste

Lucile Hadzihalilovic, cinéaste

Benoît Hamon, homme politique

Jean Hatzfeld, journaliste

Anne Hidalgo, Maire de Paris

Christoph Hochhäusler, cinéaste (Allemagne)

Marie Holzman, sinologue

Axel Honneth, philosophe

Eva Illouz, philosophe

Irène Jacob, comédienne

Naïssam Jalal, flutiste et compositrice (Syrie, France) 

Agnès Jaoui, actrice et réalisatrice

Thomas Jenkoe, réalisateur

Kamen Kalev, cinéaste (Bulgarie)

Aurélia Kalisky, chercheuse en littérature

Sam Karmann, acteur et réalisateur

Irena Karpa, écrivaine et chanteuse

Reda Kateb, comédien

Aki Kaurismaki, cinéaste (Finlande)

Benjamin Kedar, historien

Maylis de Kerangal, écrivain

Lodge Kerrigan, cinéaste (États-Unis)

Farhad Khosrokhavar, sociologue

Cédric Klapisch, cinéaste

Héléna Klotz, cinéaste

Nicolas Klotz, cinéaste

Patrick Klugman, adjoint à la Maire de Paris, en charge des relations Internationales

Jan Kounen, cinéaste

Gérard Krawczyk, cinéaste

Nathalie Kuperman, écrivaine

Geoffroy de Lagasnerie, philosophe

Marion Laine, cinéaste

Isabelle de La Patellière, agent artistique

Paul Laverty, scénariste et réalisateur (Grande Bretagne)

Mike Leigh, cinéaste (Grande Bretagne)

Pierre Lemaitre, écrivain

Serge Le Peron, cinéaste et enseignant 

Diego Lerman, cinéaste (Argentine)

Sébastien Lifshitz, cinéaste

Pierre Linhart, scénariste 

Jonathan Littell, écrivain

Jean-Louis Livi, producteur

Anne Loiret, comédienne

Édouard Louis, écrivain

Sergueï Loznitsa, cinéaste (Ukraine)

Gilles Marchand, cinéaste

Oleksandra Matviychuk, human rights defender (Ukraine)

Patricia Mazuy, cinéaste

Jiří Menzel, cinéaste (République Tchèque)

Agnès Merlet, cinéaste

Olivier Meyrou, cinéaste

Anne-Marie Miéville, cinéaste (Suisse)

Radu Mihaileanu, cinéaste, président de l'ARP

Jonathan Millet, cinéaste

Ariane Mnouchkine, Metteur en scène de théâtre, animatrice et fondatrice du Théâtre du Soleil

Avi Mograbi, cinéaste (Israël)

Ossama Mohammed, cinéaste (Syrie)

Dominik Moll, cinéaste

Sarah Moon, photographe

Eleonore Morel, directrice générale de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH)

Richard Moyon, co-fondateur du RESF

Aurore Mréjen, docteur en philosophie, chercheuse au LSCP

Cristian Mungiu, cinéaste (Roumanie)

Safy Nebbou, cinéaste

Orwa Nyrobia, cinéaste (Syrie), directeur artistique du Festival du Documentaire d'Amsterdam

Michel Ocelot, cinéaste

Rithy Panh, cinéaste (Cambodge, France)

Benoit Peeters, écrivain et scénariste

Elisabeth Perceval, cinéaste

Thierry de Peretti, cinéaste

Nicolas Philibert, cinéaste

Corneliu Porumboiu, cinéaste (Roumanie)

Mathieu Potte-Bonneville, philosophe

Olivier Pourriol, philosophe

Valérie Pozner, historienne

Martin Provost, cinéaste

Katell Quillévéré, cinéaste

Lynn Ramsay, cinéaste (Grande Bretagne)

Aude Léa Rapin, cinéaste

Jean-Paul Rappeneau, cinéaste

Carlos Reygadas, cinéaste (Mexique)

Jaime Rosales, cinéaste (Espagne)

Brigitte Rouan, actrice et réalisatrice

Maxime Rovère, philosophe

Christophe Ruggia, cinéaste, co-président de la SRF

Nicolas Saada, cinéaste

Ira Sachs, cinéaste (États-unis)

Malik Salemkour, Président de la Ligue des Droits de l’Homme

Walter Salles, cinéaste (Brésil)

Céline Sallette, comédienne

Pierre Salvadori, cinéaste

Jean-Marc Schick, mixeur

Pierre Schoeller, cinéaste

Carole Scotta, productrice

Claire Simon, cinéaste

Abderrahmane Sissako, cinéaste (Mauritanie)

Marie-Claude Slick, journaliste

Juan Solanas, cinéaste (Argentine)

Salomé Stevenin, actrice et réalisatrice

Bernard Stiegler, philosophe

Jan Svěrák, cinéaste (République tchèque)

Abdellah Taïa, écrivain et cinéaste (Maroc)

Bertrand Tavernier, cinéaste

Éric Toledano, cinéaste

Agnès Tricoire, déléguée générale de l'Observatoire de la Liberté de Création et avocate

Joachim Trier, cinéaste (Norvège)

Justine Triet, cinéaste

Michel Tubiana, Président d'honneur de la Ligue des Droits de l’Homme

Andrei Ujica, cinéaste (Roumanie)

Petr Vaclav, cinéaste (République tchèque, France)

Cécile Vaissié, slaviste et historienne

Jaco Van Dormael, cinéaste (Belgique)

Karin Viard, comédienne

Delphine de Vigan, écrivaine

Vanina Vignal, cinéaste

Anne Villacèque, cinéaste

Denis Villeneuve, cinéaste (Canada)

Marina Vlady, comédienne

Sophie Wahnich, historienne

Régis Wargnier, cinéaste

Apichatpong Weerasethakul, cinéaste (Thaïlande)

Wim Wenders, cinéaste (Allemagne)

Nicolas Werth, historien 

Anne-Frédérique Widmann, réalisatrice documentaire (Suisse)

Frédérick Wiseman, cinéaste (États-Unis)

Francis Wolff, philosophe

Thierry Wolton, historien

Frédéric Worms, philosophe

Slavoj Zizek, philosophe (Slovénie)

AndreI Zvyagintsev, cinéaste (Russie)

Censure
Europe
Liberté de création